La relance d’Inga 3 est-elle pertinente ?

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L’engagement de la Banque mondiale contribuera à financer les études techniques de Inga 3, mais l’exploitation du potentiel d’Inga prendra des années, dans le meilleur des cas.

 

Début juin, la Banque mondiale a validé son intention de consacrer une première enveloppe de 250 millions de dollars à la construction des bases du gigantesque projet hydroélectrique Inga 3, en RD Congo, dans le cadre d’un investissement total d’un milliard $ destiné à aider à lancer ce projet, longtemps retardé.

Albert Zeufack, directeur de la division de la Banque mondiale pour la RD Congo, déclare auprès d’African Business que la construction du barrage contribuera à remédier au manque « dramatique » d’accès à l’électricité dans le pays. À l’heure actuelle, seuls 21 % de la population congolaise est raccordée au réseau électrique, ce qui signifie que plus de 80 millions de personnes vivent sans électricité dans le pays.

Le financement de la Banque mondiale ne couvrira pas la construction du barrage lui-même. Le coût total du projet est très incertain à ce stade, mais il ne fait aucun doute qu’il s’élèvera à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Inga abrite déjà deux projets hydroélectriques, achevés dans les années 1970 et 1980, et le site pourrait devenir le plus important pôle énergétique du continent africain. En théorie, jusqu’à 42 GW (plus de dix fois la capacité électrique actuelle de la RD Congo) pourraient être exploités à partir du puissant fleuve Congo, au niveau des rapides d’Inga. Selon la Banque mondiale, 3 à 11 GW pourraient être exploités lors de la prochaine phase du projet. Sur le papier, cette énergie promet d’étendre considérablement l’accès à l’électricité dans toute la RD Congo, d’alimenter l’industrie des minerais essentiels et même de permettre au Congo d’exporter de l’électricité vers ses voisins.

Le besoin d’énergie supplémentaire est évident. Mais, comme tous les grands projets hydroélectriques, la construction d’Inga 3 aura un coût environnemental et social considérable.

« Nous sommes, bien sûr, préoccupés par les impacts sur les poissons et la mise en danger de la biodiversité dans l’ensemble du bassin », déclare Siziwe Mota, directrice du programme Afrique du groupe de campagne International Rivers.

 

Existe-t-il de meilleures options ?

Qui ajoute que le remplissage du réservoir du barrage engloutirait des forêts et des terres agricoles, entraînant des émissions de méthane dues à la décomposition de la matière organique. Et une fois le réservoir rempli, les taux d’évaporation élevés réduiraient le potentiel de production d’électricité du barrage, en particulier pendant les périodes de sécheresse, prévient Siziwe Mota.

Siziwe Mota
Siziwe Mota

L’activiste souligne également que des études antérieures suggèrent qu’environ 37 000 personnes devraient quitter leurs foyers pour faire place au barrage et à son réservoir. Le nombre exact de personnes susceptibles d’être touchées dépendra de l’ampleur et de la conception du projet, mais il ne fait aucun doute que les déplacements seront « importants », considère-t-elle.

La Banque mondiale est toutefois convaincue que les avantages l’emporteront sur les coûts. Albert Zeufack suggère que la construction du barrage pourrait être le « meilleur moyen » de sauver les forêts tropicales du bassin du Congo, actuellement menacées par la demande en charbon de bois utilisé pour la cuisine. L’utilisation de l’électricité bon marché et verte produite par Inga pour remplacer le charbon de bois aurait un « avantage environnemental évident », affirme-t-il.

Outre les questions sociales et environnementales, il convient également de se demander si la poursuite du projet Inga 3 est vraiment le meilleur moyen – et le plus rapide – d’étendre l’accès à l’électricité au Congo et chez ses voisins.

Bien que le gouvernement congolais présente Inga 3 comme étant conforme à la « Mission 300 », le programme panafricain visant à électrifier 300 millions de personnes d’ici 2030, il n’y a aucune chance que le projet puisse produire de l’électricité dans les cinq ans.

Albert Zeufack reconnaît que « dans le meilleur des cas », l’électricité produite par Inga 3 serait disponible dans huit à dix ans. Or, cette estimation est elle-même optimiste. Le seul projet hydroélectrique d’une taille comparable en Afrique, le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne de 6 GW, n’est qu’en voie d’achèvement après quatorze ans de construction.

 

Prochaines étapes

En revanche, les projets solaires peuvent souvent produire de l’électricité quelques mois seulement après la décision d’investissement. Les mini-réseaux solaires, conçus pour desservir les communautés rurales ou les installations isolées telles que les sites miniers, ne nécessitent pas non plus les infrastructures de transport et de distribution à grande échelle nécessaires pour acheminer l’électricité depuis les installations de production telles que les barrages.

Albert Zeufack
L’économiste camerounais Albert Zeufack

« Il existe certainement de meilleures options énergétiques pour la majorité des citoyens qui n’ont pas accès à l’électricité », affirme Siziwe Mota. Elle ajoute que des études suggèrent que la RD Congo pourrait produire 60 GW à partir de sources solaires et que les microprojets hydroélectriques pourraient également constituer un meilleur moyen de répondre aux besoins des communautés isolées.

Selon Siziwe Mota, le véritable objectif d’Inga est d’alimenter l’industrie minière, ainsi que les zones urbaines et les autres pays africains désireux d’acheter de l’électricité produite par le projet. L’Afrique du Sud s’intéresse depuis longtemps à l’importation d’électricité depuis Inga, malgré les coûts énormes liés à la construction des infrastructures de transport nécessaires.

Lorsqu’on lui demande si la Banque mondiale ne pourrait pas mieux utiliser ses fonds dans des projets à plus petite échelle, Albert Zeufack insiste sur le fait que la banque investit dans toute une série de programmes d’accès à l’énergie en RD Congo.

« Nous dépensons en fait beaucoup d’argent dans les énergies renouvelables, dans le solaire, dans les mini-réseaux ; la RD Congo est si grande qu’une seule source d’énergie ne suffirait pas ! »

Selon Albert Zeufack, il n’« existe pas d’alternative à Inga » en tant que projet capable de produire d’énormes quantités d’électricité à partir d’un seul site. Le représentant de la Banque mondiale reconnaît toutefois que la demande de l’industrie minière est une justification importante pour le projet. À l’heure actuelle, la RD Congo produit une grande partie des minerais essentiels à la transition énergétique, mais que les sociétés minières du pays utilisent souvent les combustibles les plus polluants pour alimenter leurs activités.

 

En quête de partenaires

Inga 3 est en projet depuis au moins les années 1990. La Banque mondiale avait déjà annoncé le financement du projet en 2014, avant de se retirer deux ans plus tard en invoquant des « divergences stratégiques » avec le gouvernement congolais.

Barrage en construction.

 

Les 250 millions $ alloués par la Banque mondiale contribueront à financer les différentes études nécessaires avant la finalisation du projet. Ce financement contribuera également à couvrir les projets locaux de production d’électricité et les programmes de formation destinés à bénéficier à la région du Kongo Central avant même le début de la construction.

Toutefois, le financement de la Banque mondiale ne couvrira pas la construction du barrage lui-même. Le coût total du projet est très incertain à ce stade, mais il ne fait aucun doute qu’il s’élèvera à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

« Nous sommes d’accord avec le gouvernement de la RD Congo pour que le financement du barrage prenne la forme d’un partenariat public-privé », commente Albert Zeufack. « Ce qui est très clair de notre point de vue, c’est que tous les partenaires au développement et le secteur privé sont très désireux de participer au financement. »

@AB

 

Source: NewAfrican/Le Magazine de l’Afrique

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