Human Rights Watch (HRW) a dénoncé lundi une nouvelle vague d’arrestations visant des opposants tunisiens, au lendemain de la condamnation en appel de 34 personnes dans l’affaire dite du « complot », une procédure qu’elle juge dénuée de base factuelle et entachée de violations graves du droit à un procès équitable. Trois figures d’envergure – l’activiste politique Chaïma Issa, l’avocat et défenseur des droits humains Ayachi Hammami, et l’opposant historique Ahmed Nejib Chebbi – ont été interpellées entre le 29 novembre et le 4 décembre, après avoir écopé de peines allant de 5 à 20 ans de prison.
Selon l’organisation, l’affaire illustre « la dernière étape » d’une stratégie du président Kaïs Saïed visant à neutraliser toute forme d’opposition, dans un contexte de durcissement autoritaire depuis la concentration des pouvoirs en juillet 2021. HRW estime que ces arrestations parachèvent une mise au pas du champ politique, plusieurs dirigeants étant désormais détenus ou condamnés par contumace.
Les conditions des arrestations soulèvent de nombreuses inquiétudes. Chaïma Issa, 45 ans, a été arrêtée par des agents en civil à Tunis, au lendemain d’une manifestation dénonçant les atteintes aux libertés. Elle est depuis incarcérée à la prison de Manouba et aurait entamé une grève de la faim, selon sa famille. Condamnée à 20 ans de prison en appel, l’activiste est l’un des visages majeurs du Front de salut national et du collectif Citoyens contre le coup d’État.
Ayachi Hammami, 66 ans, a été arrêté à son domicile le 2 décembre, quelques heures après que ses avocats eurent déposé un pourvoi en cassation. D’abord avocat de la défense dans le dossier du complot, il avait lui-même été inculpé en 2023 avant d’être condamné à cinq ans de prison en appel. Il est détenu à la prison de Mornaguia, d’où il a annoncé une grève de la faim dans une vidéo publiée postérieurement à son arrestation.
Quant à Ahmed Nejib Chebbi, 81 ans, figure historique de l’opposition tunisienne, il a été interpellé le 4 décembre après plusieurs jours de surveillance policière. Co-fondateur du Front de salut national, il avait refusé de participer à un procès qu’il jugeait politique avant d’être condamné à 12 ans de prison.
HRW souligne que le procès collectif ayant conduit à ces condamnations s’est tenu en violation des normes internationales : seulement trois audiences, absence des prévenus détenus, preuves jugées « non crédibles », et recours massif à des articles du Code pénal et de la loi antiterroriste de 2015. Trois accusés ont été acquittés, mais quinze autres sont actuellement incarcérés, tandis que les condamnés résidant à l’étranger l’ont été par contumace.
L’ONG estime que la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et les attaques répétées du pouvoir exécutif contre les juges ont porté un coup sévère à l’indépendance du système judiciaire, fragilisant davantage les garanties d’un procès équitable. Elle rappelle que la Tunisie demeure juridiquement liée par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Dans sa déclaration, HRW appelle les autorités à annuler les « condamnations abusives » et à libérer tous les détenus. Elle exhorte également les partenaires de la Tunisie, notamment l’Union européenne, à dénoncer « le basculement du pays vers l’autoritarisme » et à faire pression pour un retour aux normes démocratiques et au respect des libertés fondamentales.
SOURCE : APA News/MK/ak/ac/Tunis (Tunisie)