Que risque Succès Masra, l’opposant tchadien placé en détention préventive ?

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Au Tchad, l’ancien Premier ministre et opposant Succès Masra, candidat malheureux à la présidentielle de 2024, a été placé en détention provisoire mercredi à la maison d’arrêt de Klessoum.

Arrêté le 16 mai, le chef du parti d’opposition les Transformateurs est soupçonné par la justice d' »incitation à la haine, à la révolte, constitution et complicité de bandes armées ». Il est également accusé de « complicité d’assassinat, incendie volontaire et profanation de sépultures » lors des événements de Mandakao. Selon ses avocats Mes Oumdade Yagoua et Ngolé Mannro, Succès Masra, qui était en garde à vue depuis son arrestation, a été déféré au parquet puis devant un juge d’instruction avant d’être placé en détention provisoire par ce dernier.

Les Transformateurs, le parti de Succès Masra, avaient évoqué dans un premier temps un « enlèvement » et diffusé un extrait d’une vidéo de caméra de surveillance montrant l’intéressé sortant de son domicile, encadré par plus d’une dizaine d’hommes en uniformes et armés.

Le massacre de Mandakao

En effet, le 14 mai, 42 personnes « majoritairement des femmes et des enfants » ont été tuées à Mandakao, dans la région du Logone-Occidental (sud-ouest), dans un conflit intercommunautaire. La justice tchadienne soupçonne M. Masra d’avoir provoqué ce massacre.

« Cette implication présumée a incité la population à s’en prendre à une communauté résidant dans la même localité. Des messages ont circulé, notamment sur les réseaux sociaux, appelant la population à s’armer contre d’autres citoyens », avait déclaré le Procureur de la République, Oumar Mahamat Kedelaye.

Dans une communication transmise à l’AFP mercredi, le collectif des avocats représentant l’Etat tchadien a indiqué que M. Masra est le « principal auteur des faits » mais que 82 autres personnes ont été arrêtées pour les mêmes motifs.

Un membre du parti Les Transformateurs de Masra, Sitack Yombatina, a rejeté ces accusations, déclarant à Reuters que Masra, qui a dirigé le pays pendant cinq mois au début de l’année 2024, ne pouvait être tenu responsable de « l’incompétence du gouvernement à juguler les conflits intercommunautaires. »

Le message audio mis en avant par la justice pour incriminer M. Masra daterait de mai 2023 selon ses avocats. Suivant une traduction française de l’audio en langue Ngambaye, il est dit: « apprenons-nous les uns et les autres à utiliser une arme à feu. Que ce soit fille ou garçon, que ce soit femme ou homme… soyons tous des boucliers protecteurs ».

Les conseils de Succès Masra affirment que cette déclaration, prononcée « dans un contexte précis avait fait l’objet du mandat d’arrêt international » contre leur client et qui « avait été levé en date du 02 novembre 2023, suite à un abandon des poursuites ».

« Une cabale politico-judiciaire »

Lors d’une conférence de presse au siège du parti mercredi après-midi, les avocats de M. Masra ont dénoncé « une cabale politico-judiciaire » et une « conspiration » contre leur client.

Le Secrétaire général du parti, Dr Tog-Yeum Nagorngar a quant à lui dénoncé la procédure qui selon lui est « purement politique ».

« Les accusations ayant conduit à son enlèvement et à sa détention arbitraire sont vides et pleines de contradictions » a jouté le secrétaire général des Transformateurs.

Pour lui, cette décision vient mettre à mal un effort soutenu de refondation et de réconciliation et de reconstruction de l’État tchadien.

« Les Transformateurs expriment leur profonde préoccupation face à cette dérive totalitaire du système politico-judiciaire alors même que l’engagement du président Dr Masra en faveur de la paix, du dialogue et de la justice est reconnu de tous ».

Dr Tog-Yeum Nagorngar interpelle le Président Mahamat Idriss Déby pour qu' »il prenne toutes ses responsabilités de garant de l’unité nationale afin de faire libérer Succès Masra dans les meilleurs délais ».

Il a par la suite exhorté ses militants et sympathisants « à rester mobilisés, mais toujours dans la discipline, en attendant les actions futures qui viendraient à être décidées ».

 

 

Que risque Succès Masra et quelles seront les conséquences ?

Les poursuites judiciaires à l’encontre de M. Masra ne feraient qu’exacerber les inquiétudes concernant le rétrécissement de l’espace démocratique au Tchad. Le gouvernement interdit fréquemment les manifestations et est accusé de restreindre la capacité des médias à fonctionner.

Le Dr Yamingué Betimbaye, analyste politique et enseignant chercheur à l’université de Ndjamena estime que Succès Masra ne court aucun risque pour l’heure parce qu’il est « présumé innocent ».

L’enseignant-chercheur redoute cependant une lourde peine de prison pour le président des Transformateurs s’il est condamné.

« Lorsque l’aspect judiciaire et l’aspect politique s’entremêlent comme on est en train de l’observer, il faudrait s’attendre au regard des chefs d’accusation qui sont portés contre lui, à ce qu’il écope d’une lourde peine de prison », explique-t-il.

Pour ce qui est du parti Les Transformateurs, il faudrait s’attendre à ce que les peines portées contre leur président s’étendent aussi au parti politique avec notamment « le risque dissolution », ou alors, dans le meilleur des cas, « une suspension pour une certaine période ».

Le politologue Evariste Ngarlem Toldé est de cette logique, il entrevoit déjà une condamnation de Succès Masra.

« Les chefs d’accusation qui lui sont collés le conduiront inévitablement à une condamnation, à quelques mois ou disons plusieurs années de prison, ça c’est vraiment inévitable », indique-t-il.

Au-delà d’une dissolution de son parti politique, Succès Masra pourrait également voir son casier judiciaire entaché et « cela risquerait de le priver des prochaines élections à venir, législatives ou présidentielles en cas de condamnation ».

Cette affaire pourrait également avoir des conséquences sur le paysage politique tchadien.

« Il va sans dire que c’est une dérive démocratique vers laquelle on tend, parce que non seulement Succès Masra est un ancien Premier ministre, il est chef de parti et une des figures de l’opposition, tout cela réuni, ça fait quand même un mauvais signal pour la gouvernance démocratique dans notre pays », explique le politologue Ngarlem Toldé.

Il espère tout de même qu’une solution politique pourrait mettre fin aux tensions perceptibles à Ndjamena et dans le reste du pays.

« Mais gageons que d’ici là, étant entendu que c’est un procès politique, qu’une solution politique puisse être trouvée, et que Succés Masra puisse retrouver sa liberté », conclut-il.

 

Source: news.abidjan.net

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