Depuis 2015, elle a fait de la broderie sur photographie son mode d’expression privilégié. Un geste lent, minutieux et presque rituel qui vient prolonger l’instantanéité du cliché. Là où l’appareil capte un moment en une fraction de seconde, l’artiste s’attarde des semaines, parfois des mois, à travailler la surface imprimée sur toile de coton. Ce temps dilaté, ces couches successives de fils et de voiles traduisent, pour elle, la complexité de l’existence, la superposition des niveaux de réalité, entre visible et invisible, rêve et quotidien.
« Le fait d’ajouter du tissu, des fils, de broder, c’est comme une écriture automatique qui me permet de créer du beau à partir de ce que j’ai vu autour de moi. Pour moi, le plus important, c’est ce que j’ai pu ressentir et ce que ça me permet de communiquer avec l’autre. J’aime le dialogue sans parole que l’art me permet d’avoir avec mes semblables. Surtout, ça me permet d’entrer en dialogue avec moi-même, d’apprendre à mieux me connaître, à mieux me comprendre et à comprendre les autres, si c’est possible », explique Joanna.

Et puis, au fur et à mesure, je me suis rendu compte que quand j’ai commencé à marcher le matin pour Alba’hian, le fait de marcher, de sortir de chez moi avant que le soleil ne soit levé, et de le voir se lever progressivement me donne l’impression que je gagne un temps fou dans la journée et que j’ai une longueur d’avance sur tout et sur tout le monde. Quand on regarde un coucher de soleil, on a une sensation de finitude, de mélancolie, légèrement triste. Alors que quand on voit le lever du jour, on a l’impression que tout est possible. C’est une naissance quotidienne, une renaissance. Moi, ça m’inspire beaucoup », révèle l’artiste qui définit son art comme un pont.
Son art, un pont entre l’intérieur et l’extérieur
À travers la broderie, l’ajout de tissus, de textures et de couleurs, l’artiste s’autorise à transformer la réalité, à lui injecter de l’intime, de l’émotion et du mystique. Son art devient un pont entre les mondes. Entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’artiste et le spectateur, entre les cultures, les genres, les mémoires.
Justement, le motif du pont revient régulièrement dans son œuvre. Elle le brode et le rebrode, comme une obsession douce. Symbole de passage, de lien, de transition, il incarne pour elle le besoin vital de connexion entre les êtres, entre les expériences de vie, entre l’Afrique et le monde. Dans un monde où tant de liens se brisent, Joanna Choumali nous rappelle l’urgence de construire, de relier, de traverser.
« Pour moi, la symbolique du pont est très importante. J’en ai plusieurs dans mes œuvres, dans mes différentes séries. Pour moi, le pont représente le lien qu’il y a entre deux paysages, entre deux réalités, entre le rêve et la réalité. Le pont entre l’être et le faire, le pont entre une culture et une autre, entre un genre et un autre. Le pont permet de relier un espace à un autre et un être à un autre, qu’il soit humain ou animal, ou qu’il soit immatériel. Pour moi, le pont représente la communication, la possibilité d’aller à la rencontre de l’autre, de l’altérité et de l’Autre avec un grand A. Quand on traverse un pont, on va vers l’autre et on reçoit l’autre aussi. Je pense que c’est ce dont on a besoin pour évoluer. Dans ce monde actuel surtout, il y a trop de ponts qui se coupent alors que l’on devrait en construire de plus en plus entre nous », justifie-t-elle.

Son exposition ouverte le 15 mai jusqu’au 25 juillet, à la Galerie Farah Fakhri à Abidjan-Plateau, intitulée « La terre n’a qu’un seul soleil », marque un retour émouvant dans sa ville natale, après plus de dix ans d’absence sur la scène locale. Exposer à Abidjan, dit-elle, c’est « se reconnecter avec sa famille, avec sa ville, avec son peuple ». Un geste d’amour et de partage qui donne tout son sens à une œuvre universelle, mais profondément ancrée dans l’intimité d’une terre et d’un regard.
« Abidjan, c’est là que je suis née, c’est ma maison, ma ville. C’est la ville que j’ai le plus contemplée de ma vie. Je la photographie tous les jours, dès que je sors de chez moi. Même quand je ne sors pas de chez moi. L’intérieur de mon jardin peut être un sujet. Le fait d’exposer à Abidjan, c’est quelque chose de très important pour moi parce que ça fait plus de dix ans que je n’ai pas eu d’exposition personnelle à Abidjan. Pour moi, c’est l’occasion de rencontrer ma famille, de me reconnecter avec ma ville, avec mes compatriotes. Et puis, c’est surtout l’occasion de partager et de recevoir, de participer à un échange avec ma famille. J’ai eu la chance de pouvoir exposer un peu partout dans le monde. Mais on n’est jamais mieux que chez soi », a souligné Joanna Choumali qui ne photographie pas seulement le monde. Elle le recompose, elle le guérit, elle l’habite avec tendresse.
À travers ses images brodées, elle tisse un langage sensible, sans mots, mais puissamment humain. Une invitation à ralentir, à ressentir, à écouter les silences du matin, là où tout peut recommencer.