L’Afrique est aux commandes de son avenir numérique

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La transformation numérique peut être le moteur d’un développement responsable et démocratique, mais seulement si le leadership, l’investissement et la prise de décision sont enracinés sur le continent lui-même.

 

Le continent se trouve à un tournant décisif. La numérisation peut être le moteur d’un développement inclusif et résilient, mais seulement si elle est menée par un leadership local doté d’une vision stratégique.

L’Afrique ne manque pas de potentiel. Bien au contraire : elle abrite 18 % de la population mondiale mais ne dispose que de moins de 1 % de la capacité mondiale de centres de données. C’est un continent hyperconnecté – plus de 600 millions d’Africains utilisent un téléphone mobile –, mais la pénétration des smartphones et la connectivité effective restent faibles.

L’avenir numérique de l’Afrique n’est pas encore écrit : il sera façonné par les décisions audacieuses prises aujourd’hui, et par des partenariats stratégiques qui autonomisent, respectent et rendent des comptes aux peuples et aux dirigeants africains.

La technologie, aux côtés de la jeunesse et des femmes, constitue l’une des trois grandes forces capables non seulement de transformer l’Afrique, mais aussi de lui permettre de gagner le XXIe siècle. Ce potentiel est déjà en cours de concrétisation : depuis le début des années 2000, à la suite de profondes réformes du secteur des télécommunications dans une grande partie du continent, la jeunesse africaine utilise la technologie comme un puissant levier de progrès exponentiel.

Aujourd’hui, certaines des entreprises africaines les plus grandes et à la croissance la plus rapide évoluent dans le secteur technologique, dont plusieurs « licornes ». Des innovations dans le domaine de la monnaie mobile, comme M-PESA, sont devenues des modèles reproductibles à l’échelle mondiale. Contrairement aux révolutions agricole et industrielle, dont l’Afrique a été largement exclue, la révolution numérique constitue un moment charnière : l’Afrique ne se contente plus de rattraper son retard – elle contribue à façonner une nouvelle ère économique selon ses propres termes.

 

Mobiliser les ressources

L’essentiel est de reconnaître que le développement numérique de l’Afrique ne peut reposer uniquement sur les flux extérieurs. Comme l’a souligné la Banque africaine de développement, deux tiers du financement du développement en Afrique proviennent déjà de sources nationales, telles que les recettes fiscales et l’épargne des ménages. En 2020, les fonds souverains africains géraient plus de 24 milliards de dollars, et les fonds de pension détenaient des actifs d’une valeur de 676 milliards $ en 2017. À cela s’ajoutent près de 100 milliards $ de transferts de fonds envoyés chaque année par la diaspora africaine.

Mobiliser ces ressources nécessite plus qu’une volonté politique. Cela requiert des institutions solides, des cadres réglementaires efficaces et des partenariats public-privé capables d’amplifier la transformation numérique. Des initiatives clés, menées par le secteur privé, sont déjà en cours, mais cela ne suffit pas : il faut une vision partagée, une ambition politique affirmée et une citoyenneté numériquement habilitée. C’est là qu’interviennent la gouvernance et le leadership institutionnel.

Dans cet esprit, Club de Madrid – le plus grand forum mondial de présidents et de premiers ministres démocratiques – a récemment souligné, lors de son Dialogue politique annuel sur le financement du développement, tenu à Nairobi en avril, que la transformation numérique doit servir l’inclusion et le renforcement des institutions. Il a insisté sur l’importance d’investir dans les infrastructures numériques publiques afin de garantir un accès équitable pour les femmes, les jeunes et les communautés marginalisées, ainsi que sur la nécessité d’établir des cadres réglementaires protégeant les données personnelles, encourageant une concurrence équitable et garantissant l’accès numérique universel en tant que bien public.

Forts de leur expérience en matière de gouvernance, les membres de Club de Madrid œuvrent à renforcer la confiance institutionnelle et les cadres de gouvernance numérique pour assurer une transformation réellement inclusive. Numériser sans gouvernance comporte des risques, mais le faire avec transparence et dans le respect des droits numériques constitue une opportunité historique pour l’Afrique.

 

L’Afrique doit prendre en main son avenir numérique

Il ne s’agit pas seulement d’une question d’efficacité. Il s’agit de savoir comment la numérisation peut renforcer le contrat social en instaurant la confiance, en réduisant l’exclusion et en concrétisant la promesse de gouvernance démocratique. Orientée correctement, la numérisation peut renforcer la confiance publique, élargir l’accès aux services essentiels et créer des millions d’emplois dans des secteurs émergents. L’intelligence artificielle, par exemple, est déjà utilisée par des gouvernements africains pour détecter la fraude, améliorer les registres civils ou planifier les infrastructures de manière plus intelligente. Le Ghana et le Rwanda, entre autres, élaborent actuellement des politiques nationales d’IA fondées sur l’éthique et adaptées aux contextes africains.

Cependant, la route à venir sera difficile. Le continent fait face à un déficit de financement annuel de plus de 400 milliards $ pour sa transformation structurelle. Les réformes financières mondiales, bien que bienvenues, ne suffiront pas. C’est pourquoi le message doit être clair : l’Afrique doit prendre en main son avenir numérique, de manière démocratique, inclusive et déterminée, en mobilisant son capital humain, financier et politique.

Investir dans les capacités numériques n’est pas une option. Au XXIe siècle, cela constitue un pilier fondamental de la démocratie efficace, d’institutions réactives et d’économies résilientes, capables de générer de véritables opportunités et d’apporter des bénéfices tangibles aux citoyens. Dans cette entreprise, chaque pays africain a un rôle à jouer, tout comme chaque partenaire réellement engagé pour un développement juste et durable.

L’avenir numérique de l’Afrique n’est pas encore écrit : il sera façonné par les décisions audacieuses prises aujourd’hui, et par des partenariats stratégiques qui autonomisent, respectent et rendent des comptes aux peuples et aux dirigeants africains.

Nous le voyons, l’Afrique doit prendre les rênes de son avenir numérique, non seulement pour être compétitive au niveau mondial, mais pour gouverner de manière inclusive, protéger les droits et garantir une prospérité dans la dignité.

 

 

 

 

 

 

 

Obiageli « Oby » Ezekwesili est ancienne ministre de l’Éducation du Nigeria, ex-vice-présidente de la Banque mondiale et conseillère de Club de Madrid.

 

 

 

 

 

 

 

 

Mehdi Jomâa a été Premier ministre de Tunisie (2014–2015) et est membre du Club de Madrid.

 

@AB

Source: NewAfrican/Le Magazine de l’Afrique

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