Maurice à l’heure de la responsabilité budgétaire

Le Budget 2025-2026 de la République de Maurice devra marquer un tournant vers l’orthodoxie budgétaire, après des années de dépenses déraisonnables et d’endettement public accru.

 

Le 5 juin 2025, Maurice retiendra son souffle. Le Premier ministre, également ministre des Finances, présentera un budget qui s’annonce comme l’un des plus difficiles de l’histoire récente du pays insulaire, car jamais Maurice n’a eu à composer avec une telle accumulation de vulnérabilités économiques et sociales.

Derrière les formules et les chiffres, c’est un délicat exercice d’équilibriste qui attend Navin Ramgoolam : jongler entre les attentes d’une population qui, au fil des ans, a pris goût aux budgets généreux, voire déraisonnables, et la réalité brutale des caisses publiques asséchées, d’une dette publique démesurée et de la surveillance serrée des agences de notation internationales.

Le Premier ministre devra redoubler de créativité pour identifier de nouvelles marges de manœuvre, de nouveaux partenariats, de nouvelles pistes de croissance, tout en gardant le cap de la prudence budgétaire.

Car il faut bien le dire : si Maurice bénéficie aujourd’hui encore d’un sursis des agences de notation, c’est uniquement parce que le nouveau gouvernement a pris des engagements de rigueur, de réformes, de consolidation budgétaire. Les marchés et les bailleurs de fonds nous observent. Les agences de notation ne nous accorderont aucune indulgence supplémentaire : à la moindre déviation, à la moindre complaisance électoraliste, c’est la sanction qui tombera, brutale, sous forme de dégradation de la note souveraine, de hausse des coûts de financement, et d’isolement progressif sur les marchés internationaux.

Après une décennie d’euphorie budgétaire et de promesses inconsidérées, nous voilà rattrapés par la réalité : une croissance revue à la baisse (à peine 3 % attendus en 2025), une dette publique proche des 90 % du PIB, un déficit commercial record, des réserves de change qui, si elles sont mal gérées, pourraient être épuisées d’ici une décennie, et une économie dont les piliers traditionnels s’effritent inexorablement.

La tâche du Premier ministre n’est donc pas seulement difficile ; elle est, à bien des égards, injuste. Car il hérite d’une situation dont il n’est pas l’architecte : une décennie d’irresponsabilité budgétaire, d’avidité populiste, de mauvaise gouvernance, d’incompétence administrative. Autant de couches accumulées qui rendent l’exercice budgétaire actuel particulièrement périlleux.

Dans ce contexte, le budget 2025-2026 doit impérativement marquer une rupture. Il ne s’agit plus de colmater les brèches ou de distribuer quelques miettes pour calmer les impatiences sociales. Il s’agit de refonder. De reconstruire la crédibilité économique du pays sur des bases saines.

 

Une gouvernance irréprochable

Cela passe par la restauration de la productivité : avec un taux d’augmentation annuel de la productivité du travail plafonnant à 2 % sur la dernière décennie, et une productivité du capital presque stagnante, la productivité multifactorielle n’a progressé que de 0,6 % par an. Il est primordial d’investir dans l’innovation, la montée en compétences des travailleurs et la digitalisation. Sans choc productif, aucun redressement durable ne sera possible.

Navin Ramgoolam a été nommé Premier ministre de la République de Maurice, le 12 novembre 2024, après la victoire de l’opposition aux élections législatives.

 

De plus, le pays doit maîtriser ses dépenses publiques : il ne s’agit pas seulement de réduire les dépenses, mais de les rendre plus efficaces. Chaque roupie doit être investie là où elle produit de la valeur – dans les infrastructures stratégiques, l’énergie verte, la gestion de l’eau, la diversification agricole, l’économie bleue.

Aujourd’hui, souligne le rapport d’AXYS Trade Under Pressure, notre facture énergétique dépasse 60 milliards de roupies (1,16 milliard d’euros) par an, nos importations augmentent alors que nos exportations reculent de 11 %, pendant que notre production renouvelable stagne à moins de 18 %. Ce désalignement est devenu insoutenable.

Il s’agit également de faire preuve d’une gouvernance irréprochable : Maurice doit simplifier ses procédures administratives, réformer sa fiscalité, améliorer la collecte des taxes indirectes, faciliter les partenariats public-privé (notamment dans la santé, les énergies et les services à haute valeur ajoutée), et mieux exploiter sa zone économique exclusive, aujourd’hui largement sous-utilisée.

Parallèlement, il s’agit de préparer l’avenir climatique et énergétique : la dépendance au pétrole et au charbon alourdit non seulement notre balance commerciale, mais nous expose aux chocs extérieurs. La transition vers les énergies renouvelables, pourtant inscrite dans les objectifs officiels, est en retard. Il faudra y consacrer des moyens ciblés et redéfinir les priorités.

Le gouvernement doit tenir un discours de vérité à la population : il faudra expliquer, convaincre, parfois même déplaire, pour reconstruire la confiance collective et faire accepter les efforts nécessaires. Nous aurons besoin d’être une nation responsable, solidaire et agissant en bons pères de famille afin de ne pas hypothéquer l’avenir de nos enfants pour des subventions aussi artificielles qu’irresponsables, aussi coûteuses qu’éphémères.

 

Être stratège et gestionnaire

Nous le voyons, le Premier ministre devra redoubler de créativité pour identifier de nouvelles marges de manœuvre, de nouveaux partenariats, de nouvelles pistes de croissance, tout en gardant le cap de la prudence budgétaire.

Maurice entre aujourd’hui dans une phase où l’économie ne pourra plus être gérée comme un simple budget domestique : il faudra être à la fois stratège et gestionnaire, architecte et maître d’œuvre, visionnaire et comptable. Le budget 2025-2026 doit ainsi devenir un acte fondateur : celui d’un retour à une économie maîtrisée, crédible, compétitive.

Les grandes nations ne se jugent pas à l’aune de leur capacité à distribuer, mais à celle de bâtir. Il est temps, pour Maurice, d’entrer pleinement dans cette maturité économique à travers un pacte national : entreprises, citoyens, syndicats, tous embarqués dans le même effort. Et pour notre Premier ministre, de transformer ce budget en un acte décisif, où la discipline, l’ingéniosité et le sens de l’avenir guideront enfin les choix de la nation.

 

 

 

 

 

 

 

 

Joël Rault est à la tête de Hermès Advisory, une firme de conseils installé à Paris, à Maurice et à Londres. Ancien ambassadeur et homme politique mauricien, il a fondé le cabinet Hermès Advisory et s’est associé au cabinet d’avocats parisien Franklin.

@NA

Source: NewAfrican/Le Magazine de l’Afrique

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