Joseph Amon, président de l’Ordre des architectes de Côte d’Ivoire: « L’architecture ivoirienne doit être actrice de son développement »

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En marge du 5ᵉ Forum économique et commercial Türkiye–Afrique (TABEF 2025), tenu les 16 et 17 octobre à Istanbul, Joseph Amon, président de l’Ordre des architectes de Côte d’Ivoire, a accordé un entretien à la presse. Il revient sur les enjeux de la participation ivoirienne à ce grand rendez-vous économique, ainsi que sur les perspectives de coopération entre la Turquie et la Côte d’Ivoire dans le domaine de l’architecture et du développement urbain.
Pourquoi avoir participé à ce Business Forum à Istanbul ?

Notre objectif principal était de rencontrer des partenaires institutionnels et techniques susceptibles de s’intéresser à l’architecture et au BTP en Côte d’Ivoire. Lors de la précédente édition du Salon Archibat, les contacts avaient été noués trop tardivement avec les organisations professionnelles turques.

Cette fois-ci, nous avons anticipé afin de préparer efficacement la 11ᵉ édition d’Archibat, prévue pour novembre 2027, et d’y assurer une participation internationale forte, notamment turque et italienne.

Qu’attendez-vous concrètement de ces partenariats ?

Nous voulons établir une relation gagnant-gagnant. Il ne s’agit pas simplement de recevoir des produits ou des solutions toutes faites. La partie africaine doit exprimer ses besoins, et les partenaires doivent y répondre en apportant leur technologie, leur savoir-faire et des solutions adaptées à notre contexte. Les investisseurs turcs se sont montrés très intéressés pour s’engager en Côte d’Ivoire, avec le soutien du gouvernement turc, sur des projets dépassant les 100 millions de dollars. L’architecture doit être conçue par et pour nous, en tenant compte de notre culture, de notre environnement et de nos réalités économiques.

Quelle place occupe l’architecture dans le développement durable du pays ?

L’architecture ivoirienne s’inscrit pleinement dans la dynamique mondiale des Objectifs de développement durable (ODD). Concevoir des bâtiments ne suffit plus : nous devons désormais penser à leur impact environnemental, à leur efficacité énergétique et à leur intégration dans nos modes de vie. Notre ambition est de construire des ouvrages durables, capables de préserver les ressources naturelles tout en répondant aux besoins des populations.

Quel regard portez-vous sur le développement urbain actuel en Côte d’Ivoire ?

Il faut le reconnaître : nos villes connaissent un développement souvent anarchique. Les schémas d’urbanisme existent, mais ils sont mal appliqués. Nous devons reprendre en main la planification urbaine, impliquer l’État, les collectivités locales, les professionnels et surtout les populations. Il faut aussi changer les mentalités : gérer l’eau correctement, respecter les réseaux existants, penser assainissement et environnement.

Pourquoi constate-t-on encore une faible implication des architectes dans les projets ?

La loi ivoirienne prévoit que les permis de construire passent obligatoirement par les architectes. Pourtant, près de 80 % des projets se réalisent sans eux. Cela s’explique souvent par une perception erronée : on pense que les architectes coûtent trop cher. Mais le véritable coût, c’est celui de la mauvaise construction. Je prends un exemple concret : un immeuble s’est effondré à Abidjan. Le propriétaire avait refusé de payer 10 millions de francs CFA d’honoraires et a perdu plus de 500 millions dans la catastrophe. Cela doit nous faire réfléchir.

Comment rapprocher les architectes des populations ?

Il faut un dialogue franc et pédagogique. Je pense qu’une rencontre entre architectes, populations et psychologues pourrait permettre de mieux comprendre les freins culturels et pratiques. L’idée est de rapprocher les deux parties afin d’instaurer une confiance mutuelle. C’est à ce prix que nous pourrons développer une véritable culture architecturale en Côte d’Ivoire.

Quel rôle joue l’artisanat dans cette dynamique ?

L’artisanat est une force économique réelle. C’est pourquoi nous avons lancé le Concours du meilleur artisan lors de la dernière édition d’Archibat. L’objectif est de professionnaliser les acteurs de l’informel et de les amener à respecter les normes techniques. Cette initiative a déjà inspiré d’autres pays, comme le Niger, qui s’apprête à lancer un concours similaire.

Quelles sont vos attentes pour la 11ᵉ édition d’Archibat en 2027 ?

Cette édition sera panafricaine et internationale. Elle accueillera la réunion de l’Union des architectes d’Afrique, avec plus de 200 architectes africains attendus. Ce sera une plateforme unique de rencontres entre architectes, industriels et partenaires étrangers pour construire ensemble une vision africaine de l’urbanisme et de l’architecture.

Comment l’Ordre s’assure-t-il du respect des normes de construction ?

Tout dossier de permis de construire doit être conforme à la réglementation et aux servitudes d’urbanisme. Mais au-delà de la conception, nous insistons sur la qualité des matériaux et la qualification des exécutants. C’est souvent dans la phase de finition que des dérives apparaissent, car certains choisissent des matériaux inadaptés, moins coûteux mais de moindre qualité. D’où notre volonté d’intégrer et de former les artisans.

Quel message souhaitez-vous adresser aux acteurs du secteur ?

Nous avons tout pour bâtir un modèle ivoirien d’architecture durable. Pour cela, il faut anticiper, s’ouvrir au monde tout en affirmant notre identité. L’architecture ne doit pas être subie : elle doit être pensée, construite et portée avec intelligence, stratégie et ambition. Archibat 2027 marquera, à n’en pas douter, une étape décisive de ce tournant.

Interview réalisée à Istanbul (Turquie)

 

SOURCE : fratmat.info 

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