Tunisie : l’arrestation d’un ancien syndicaliste fait débat

0 15

 

L’incarcération du syndicaliste Lassad Yakoubi à la prison de la Mornaguia, après une garde à vue de 48 heures, a déclenché un phénomène rare en Tunisie : une forme d’unanimité dans la jubilation, partagée à la fois par les partisans du président Kaïs Saïed et par ses opposants. Une convergence paradoxale qui dit beaucoup sur l’état d’épuisement moral et politique du pays.

Ancien secrétaire général de la Fédération de l’enseignement secondaire de l’UGTT, figure controversée du syndicalisme tunisien, Lassad Yakoubi a été arrêté pour détention de treize tonnes de pommes de terre à Mornag, présentées par le parquet comme un acte de spéculation.

La défense rappelle que Yakoubi, désormais agriculteur à la retraite, n’a fait que stocker une récolte d’une valeur totale de 13 000 dinars — soit moins de 4 000 euros. Pour les avocats, dont Haykel Mekki, Khaled Krichi et Leila Haddad, le dossier est « vide », la loi visant les intermédiaires et non les producteurs. Malgré cela, le juge d’instruction a ordonné son placement en détention.

Derrière la minceur juridique de l’affaire, de nombreux observateurs perçoivent un message politique.

L’arrestation de Yakoubi survient après une série de discours de Kaïs Saïed fustigeant la « spéculation criminelle » et appelant à une répression exemplaire. Elle semble s’inscrire dans une stratégie de communication : faire de la lutte contre les « monopoles » un instrument d’autorité et un outil d’intimidation politique.

Le plus surprenant demeure la réaction publique. L’arrestation d’un ancien syndicaliste, jadis proche du pouvoir, a suscité un déferlement de sarcasmes et de satisfaction dans des camps habituellement opposés. Les soutiens du président y voient la preuve d’une justice « impartiale » qui n’épargne personne. Ses détracteurs, eux, y lisent une revanche du destin : celui qui applaudissait la répression en paie désormais le prix.

Cette convergence malsaine révèle moins une confiance retrouvée dans la justice qu’un profond désenchantement collectif. Dans un pays en proie à la stagnation économique et à la colère sociale, la détention d’un visage connu agit comme un exutoire. La société tunisienne, fatiguée des promesses trahies, se venge symboliquement sur l’une de ses anciennes figures.

Cette affaire intervient dans un climat institutionnel où la justice n’a jamais semblé aussi politisée. La veille de l’arrestation, Kaïs Saïed avait réuni les principaux responsables sécuritaires du pays pour rappeler la “nécessité d’éradiquer la spéculation”. Quelques jours plus tôt, un autre scandale judiciaire — la condamnation à mort d’un internaute pour un message critique du président, suivie d’une grâce présidentielle — avait déjà exposé la porosité entre les sphères politique et judiciaire.

Dans ce contexte, la détention de Yakoubi apparaît comme un acte d’allégeance bureaucratique au discours présidentiel, plus que comme une application impartiale du droit. Loin de renforcer la confiance dans les institutions, ces épisodes successifs nourrissent l’idée d’une justice à géométrie variable, guidée par l’opportunité politique plutôt que par la règle de droit.

SOURCE:APANews/APA-Tunis (Tunisie)

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.