L’autorisation, prévue dans le projet de loi de finances 2026, d’ouvrir librement des comptes en devises pour les résidents tunisiens suscite de vives inquiétudes : un expert financier avertit d’un risque majeur pour la stabilité du dinar et pour l’équilibre monétaire du pays.
L’expert international en finances Larbi Benbouhali a mis en garde, dans une analyse relayée ce week-end, contre la décision annoncée dans la loi de finances 2026 d’autoriser les Tunisiens à ouvrir librement des comptes bancaires en devises. Une mesure qu’il juge « risquée, voire dangereuse », dans un contexte marqué par un dinar affaibli, des déficits persistants et un système financier encore fragile. Selon lui, cette ouverture revient à « libéraliser de fait le compte de capital », une étape que même les grandes économies abordent avec prudence.
Benbouhali indique ne pas être opposé à la réforme du cadre de change, rappelant avoir lui-même plaidé pour la modernisation de la loi de 1976, l’intégration financière et l’extension du mobile banking. Il souligne que 65 % des Tunisiens n’ont pas de compte bancaire, une situation qui entretient l’opacité d’une économie informelle représentant près de 35 % du PIB. Avant toute libéralisation, estime-t-il, la priorité devrait être d’inclure les citoyens dans le système financier formel.
Selon l’expert, permettre à des millions de résidents de détenir, acheter ou conserver librement des devises créerait une pression massive sur les réserves du pays. Il cite l’exemple de la Chine, où les comptes en devises restent strictement encadrés, avec des plafonds annuels et un contrôle rigoureux des opérations. « Même les grandes puissances ne laissent pas circuler les devises sans garde-fous », rappelle-t-il.
Le contexte tunisien rend l’opération d’autant plus délicate : déficit commercial structurel, dépendance élevée aux importations, inflation persistante et glissement continu du dinar. Dans un tel environnement, la demande de devises augmenterait mécaniquement. Benbouhali avertit qu’un mouvement massif d’achat d’euros ou de dollars pourrait entraîner « une dépréciation rapide et incontrôlée » du dinar, les banques devant elles-mêmes se procurer les devises sur les marchés internationaux pour satisfaire leurs clients.
Il rappelle que des pays comparables, tels que l’Égypte, la Libye ou l’Algérie, ont vu leur monnaie se déprécier de 11 % à 55 % malgré des réserves importantes. La Tunisie, dont les marges financières sont beaucoup plus étroites, serait exposée à un choc immédiat. Les comptes en devises, souligne l’expert, ne doivent pas être supprimés : ils restent nécessaires pour les exportateurs, les entreprises technologiques et les Tunisiens percevant des revenus depuis l’étranger. Les performances de sociétés comme Instadeep, Vermeg ou Telnet en témoignent.
Pour Benbouhali, la Tunisie « n’est pas prête » pour une libéralisation totale. Une telle mesure ne pourrait être envisagée que d’ici cinq ans, si le système bancaire gagne en efficacité, si l’économie se renforce et si les réserves en devises couvrent au moins 200 jours d’importations. D’ici là, insiste-t-il, la Banque centrale doit maintenir des contrôles stricts pour protéger le dinar, stabiliser les prix et éviter une crise monétaire aux conséquences potentiellement sévères pour les ménages comme pour les entreprises.
SOURCE : APA News/MK/ak/ac/Tunis (Tunisie)