Plus de 2 000 personnes se sont rassemblées mercredi 17 décembre dans les rues de Tunis pour célébrer le quinzième anniversaire de la révolution qui avait conduit à la chute du président Zine El Abidine Ben Ali. Le rassemblement, organisé par des partisans du président Kaïs Saied, s’est transformé en démonstration de soutien politique explicite au chef de l’État, dans un contexte marqué par une polarisation accrue de la scène tunisienne.
Au cœur de la manifestation, un slogan emblématique du printemps arabe a été réapproprié et détourné. Le cri « Le peuple veut la chute du régime », symbole de la contestation populaire de 2011, a laissé place à « Le peuple veut Kaïs Saied de nouveau ». Pour de nombreux observateurs, cette relecture du vocabulaire révolutionnaire illustre une rupture profonde avec l’esprit originel de la révolution, fondé sur la revendication de libertés, de pluralisme politique et de contre-pouvoirs institutionnels.
Les participants, venus pour certains de régions éloignées comme Gafsa, Kasserine, Kairouan ou Sousse, ont mis en avant des thèmes récurrents du discours présidentiel, notamment la souveraineté nationale et le rejet de toute « ingérence étrangère ». Plusieurs slogans ont également visé des figures de l’opposition, en particulier Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha, aujourd’hui emprisonné. Cette focalisation sur des adversaires politiques contribue à renforcer un climat de confrontation plutôt que de réconciliation nationale.
Cette mobilisation intervient alors que de nombreuses organisations de défense des droits humains dénoncent une dégradation continue des libertés en Tunisie. Arrestations de responsables politiques et de journalistes, poursuites judiciaires contre des opposants, restrictions sur la liberté d’expression et affaiblissement des institutions indépendantes sont régulièrement pointés comme des signes d’un recul démocratique depuis la concentration des pouvoirs opérée par Kaïs Saied à partir de 2021.
Pour une partie de la population, le soutien affiché au président traduit une lassitude face à une décennie d’instabilité politique et de difficultés économiques. Pour d’autres, il révèle une inquiétante banalisation d’un pouvoir de plus en plus personnalisé, au détriment des acquis démocratiques issus de la révolution. Quinze ans après 2011, la célébration de la chute de Ben Ali apparaît ainsi moins comme un moment d’unité nationale que comme le reflet d’un pays profondément divisé sur le sens et l’avenir de son expérience démocratique.
SOURCE : APA News/MK/AK/Tunis (Tunisie)