Alors que le Sénégal amorce l’exploitation de ses ressources pétrolières et gazières, les acteurs nationaux aspirent à faire du contenu local un véritable catalyseur de transformation économique, en favorisant la valorisation des richesses, la création d’emplois et l’essor d’un tissu industriel pérenne. Ce deuxième volet d’une série de trois sur la gouvernance du secteur prolonge la réflexion entamée dans un premier article paru la veille.
A l’heure où le Sénégal entre de plain-pied dans l’exploitation de ses ressources pétrolières et gazières, les débats se recentrent sur un enjeu stratégique : comment faire de cette richesse naturelle un moteur de développement durable et inclusif pour le pays ? La réponse semble faire consensus parmi les différents acteurs : il faut miser sur la transformation locale et le renforcement du secteur privé national.
Le contexte est marqué par des avancées concrètes. Les premiers barils de brut ont été extraits du champ offshore Sangomar, et les premières cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL) issues du projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA) livrées. Ces projets marquent une étape cruciale, mais la réussite économique à long terme dépendra de la manière dont le contenu local est mis en œuvre.
Dans cette optique, le Sénégal s’est doté, en mai 2022, d’une loi spécifique sur le contenu local dans les industries pétrolières et gazières. Ce texte vise à favoriser l’utilisation de biens et services nationaux tout au long de la chaîne de valeur, tout en développant la participation de la main-d’œuvre, des technologies et des capitaux locaux. L’objectif affiché est ambitieux : atteindre 50 % de contenu local d’ici 2030, afin de maximiser les retombées économiques pour les entreprises et les travailleurs sénégalais.
Capacitation

Mor Bakhoum, secrétaire technique du Comité national de suivi du contenu local (CNSCL), rattaché au ministère de l’Energie, du Pétrole et des Mines, insiste sur la nécessité d’une vision stratégique. Selon lui, « la mise en œuvre du contenu local répond à des exigences. Et l’exigence première, c’est d’avoir une vision », à traduire en une stratégie nationale claire. Pour lui, l’enjeu dépasse les simples obligations contractuelles : il s’agit de « capaciter » le secteur privé national et de lui permettre de jouer un rôle central dans l’économie extractive.
Cette idée est partagée par Papa Samba Ba, directeur du Contrôle et du Suivi des opérations à Petrosen Holding, la compagnie nationale des hydrocarbures. Il estime qu’il faut « trouver le bon équilibre » entre l’attractivité pour les investisseurs étrangers et les retombées pour les populations locales. Il ne s’agit pas seulement de projets portés par des investisseurs, d’après lui. L’enjeu est de s’assurer que les revenus générés servent à moderniser les secteurs clés à travers des projets véritablement « productifs ».
Dans cette logique, le protocole récemment signé entre le Sénégal et la Mauritanie dans le cadre du projet GTA marque une avancée. Il vise à harmoniser la politique de contenu local des deux pays et à encourager la mutualisation des compétences des entreprises nationales. Pour Petrosen, les initiatives comme la stratégie « Gas to Power » – qui ambitionne de convertir le gaz en électricité – ou encore le développement de filières industrielles comme la pétrochimie et la métallurgie doivent devenir les fondations de la transformation économique.
Feuille de route

La société civile s’implique aussi dans ce débat. Le 9 juillet, une table ronde organisée par l’Observatoire de suivi des indicateurs de développement économique en Afrique (OSIDEA) a réuni des experts et des représentants institutionnels sur le thème de l’industrialisation à partir des ressources naturelles. Cheikhou Oumar Sy, président de l’organisation, y a rappelé la nécessité d’une planification claire et partagée, recommandant de « construire une feuille de route pour la transformation de nos matières premières ».
Il insiste aussi sur la nécessité de revoir certains contrats et d’assurer une gestion équitable des revenus issus de l’exploitation : « L’essentiel de la réflexion tourne autour de la renégociation des contrats et de l’utilisation des ressources au bénéfice des populations ». Pour lui, une meilleure implication des communautés, une redistribution juste et une vigilance environnementale accrue sont indispensables.
Au niveau parlementaire, le constat est partagé. Ayib Daffé, président du groupe parlementaire Pastef, actuellement majoritaire à l’Assemblée nationale, reconnaît que les résultats concrets du contenu local restent encore limités. « Il y a une loi, un dispositif institutionnel, mais les retombées sont faibles. Il faut faire beaucoup plus pour que nos entreprises nationales en profitent », a-t-il déclaré.

Sept mois après l’installation de la 15e législature, la commission parlementaire en charge de l’énergie a engagé plusieurs visites de terrain et des consultations, mais aucune réforme législative n’a encore été proposée. M. Daffé annonce néanmoins que « le secteur pétrolier, gazier et minier sera une priorité dans l’évaluation des politiques publiques » et évoque la possibilité de commissions d’enquête, notamment sur la transparence dans la répartition des revenus.
Alors que le Sénégal franchit un cap important en rejoignant le cercle des pays producteurs d’hydrocarbures, les attentes sont élevées. Le cadre légal existe, mais sa mise en œuvre doit s’accompagner d’un effort de coordination entre l’État, le secteur privé, les collectivités et la société civile. Tous s’accordent sur une idée : le pétrole et le gaz ne doivent pas être une rente éphémère, mais une opportunité durable de transformation économique au bénéfice des populations.
SOURCE:APANews/APA-Dakar (Sénégal) par Oumar Dembélé