En Côte d’Ivoire, le président de la République sortant, brigue un nouveau mandat, le quatrième, alors que ses adversaires se battent pour incarner le changement.
Quatre personnalités dont l’ancienne première dame, Simone Ehivet Gbagbo, seront face à Alassane Dramane Ouattara, candidat du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Par contre les deux principaux opposants dans le pays ont vu leur candidature rejetée par le Conseil constitutionnel dans sa délibération de lundi, créant ainsi de la frustration dans les rangs de l’opposition qui fustige « les velléités du quatrième mandat » d’Alassane Ouattara.
« Cette élection va permettre de prouver si la démocratie de la Côte d’Ivoire fonctionne, une démocratie de la vérité des urnes », indique Dr Yves Ekoué Amaizo, président du Think Tank Afrocentri-city.
Parmi les candidats retenus, on compte deux femmes, Simone Ehivet Gbagbo, présidente du Mouvement des générations capables (MGC) et Lagou Adjoa Henriette qui porte l’étendard du Groupement des partenaires politiques pour la paix (GP-Paix).
Un signe de l’ouverture du champ politique aux femmes, selon des observateurs.
L’entrée en lice de Jean-Louis Billon et de Don-Melo Sénin Ahoua Jacob traduit la volonté politique de diversifier l’offre politique face aux grandes formations politiques traditionnelles déjà connues dans le pays, selon Dr Yves Ekoué Amaizo.
Pour M. Amaizo, ces nouvelles figures en lice peuvent apparaître malgré tout comme une forme de rupture.
« La question réelle qui se pose est de savoir est-ce que M Alassane Ouattara est prêt à accepter finalement de perdre selon la vérité des urnes, et non pas nécessairement telles que les choses sont présentées par le gouvernement. Et si cette question n’est pas réglée, on a des peurs que par la suite, il y ait des difficultés de l’acceptation des résultats », ajoute-t-il.
Alors, en quoi cette élection présidentielle en Côte d’Ivoire revêt-elle une grande importance, surtout pour la région ?
La Côte d’Ivoire, un poids économique important en Afrique de l’Ouest
Le poids économique que représente la Côte d’Ivoire dans la région ne lui permet pas l’erreur de se glisser à nouveau dans une instabilité, surtout au moment où elle réalise des chiffres qui séduisent des investisseurs. C’est pourquoi cette élection présidentielle est beaucoup suivie non seulement dans la région ouest-africaine, mais aussi dans tout le continent et dans le monde.
« Quand la Côte d’Ivoire se met à tousser, c’est tout le monde qui s’enrhume dans la région », ironise Dr Amaizo.
Selon la Banque Mondiale, la Côte d’Ivoire continue de « jouer un rôle central en tant que hub économique régional et terre d’accueil pour de nombreux ressortissants des pays membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ».
Ceci grâce à sa croissance positive soutenue, réussissant à contenir la pandémie de Covid-19.
Malgré les perturbations mondiales, ajoute la Banque Mondiale, la Côte d’Ivoire a enregistré une croissance moyenne du PIB réel de 6,5% entre 2021 et 2023. Un taux inférieur au niveau d’avant le Covid-19, mais dépassant ceux de la région et du monde.
« La croissance projetée est de 6,5 % entre 2024 et 2026. Pour atteindre ses objectifs 2030, dont la réduction de moitié de la pauvreté, le gouvernement devra approfondir les réformes et accroître ses marges de manœuvre budgétaires ».
La Côte d’Ivoire, selon les chiffres présentés par son ministre des Finances et du Budget à la suite du Conseil des ministres du 8 mai 2024, fait partie des dix (10) premières économies d’Afrique, se classant à la 9e place devant la Tanzanie.
Elle est la troisième économie d’Afrique francophone derrière l’Algérie et le Maroc, et la deuxième économie de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), derrière le Nigeria.
Elle est la première puissance économique de l’Union économique et monétaire des Etats de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), contribuant à près de 40% du PIB.
Comme on peut le voir, la Côte d’Ivoire constitue un poids économique prépondérant, étant leader économique au sein de l’UEMOA et jouant un rôle de premier plan dans l’économie de l’Afrique de l’Ouest.
Il importe donc que ce pays garde ce statut pour le bien de toute la région.
« Il faut d’abord bien sûr de la stabilité dans le pays et surtout une prévisibilité sur le futur. Or cette élection va peut-être mettre en cause cette stabilité-là pour que les investisseurs se posent la question, on continue ou on ne continue pas en Côte d’Ivoire », dit l’expert en économie M. Amaizo.
Une instabilité dans ce pays va « forcément impacter aussi l’économie du pays, mais surtout l’économie de la sous-région », selon Tawa Prince Netton, Docteur en Sciences politiques et Assistant à l’Université Alassane Ouattara de Bouké, ville située au nord de la Côte d’Ivoire.
Les difficultés rencontrées par des acteurs politiques dans l’organisation de cette élection présidentielle, notamment le rejet des candidatures des principales figures de l’opposition, ne rassurent pas, selon certains analystes politiques. De même que le quatrième mandat que veut Alassane Ouattara.
Des leaders de l’opposition exclus
Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam sont les principales figures de l’opposition ivoirienne dont les candidatures ont été rejetées par le Conseil constitutionnel. Ce qui, selon ces eux, jettent déjà du discrédit sur cette présidentielle.
« Les Ivoiriens méritent des élections libres, équitables et inclusives », a réagi lundi dans un communiqué Tidjane Thiam, le candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) pour qui « les assauts permanents contre la démocratie et le déni de droit doivent cesser pour que la paix règne enfin dans notre pays ».
Tidjane Thiam et Laurent Gbagbo avaient déjà été radiés de la liste électorale, mais leurs formations politiques ont espéré jusqu’à la dernière minute, pensant que leurs candidatures seraient retenues par le Conseil constitutionnel.
La décision du Conseil constitutionnel est « pleine de contradictions », selon le président exécutif du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), Sébastien Dano Djédjé.
« On ne sait pas par quelle alchimie le Conseil constitutionnel est parvenu à éliminer les parrainages de Laurent Gbagbo ».
Confiant que Laurent Gbagbo sera candidat à cette élection présidentielle, Sébastien Dano Djédjé indique que son parti mènera cette lutte « selon les moyens que la Constitution de la Côte d’Ivoire met à notre disposition ».
Aussi, les autres candidats recalés parlent d’« incohérences » au niveau de la haute juridiction et fustigent le désir d’Alassane Ouattara de briguer un quatrième mandat.
Alassane Ouattara, un mandat de trop ?
« Les Ivoiriens espéraient que le Conseil constitutionnel défendrait leur droit fondamental de choisir leur président par la voie des urnes. Au lieu de cela, ils se retrouvent face à un véritable plébiscite organisé du président sortant, pour un quatrième mandat anticonstitutionnel », a regretté Tidjane Thiam lundi dans son communiqué après la publication de la liste des candidats retenus.
Tout comme le président du PPA-CI, Laurent Gbagbo, le porte-étendard du Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), Tidjane Thiam a déclaré qu’il va se battre pour que cette élection soit inclusive.
Avec Guillaume Soro qui lui aussi a été radié de la liste électorale, ils ont déjà accusé Alassane Ouattara de manipuler le processus électoral pour exclure les principaux rivaux.
Le 7 août dernier, une manifestation de l’opposition, notamment un front commun de PPA-CI et le PDCI, a été empêchée. Mais elle a finalement eu lieu le 9 août où des milliers de manifestants ont défilé pacifiquement dans les rues pour réclamer la réinscription des dirigeants de l’opposition sur la liste et l’organisation d’une élection inclusive.
La candidature du président sortant « constitue une violation de notre constitution et une nouvelle attaque contre la démocratie », selon M. Thiam.
« Ce président et son gouvernement ont dépassé les limites de la constitution. Une parodie d’élection en octobre, ou l’interdiction de manifestations pacifiques, ne suffiront pas à masquer cette réalité ».
Selon le Conseil constitutionnel qui réagissait en 2020 lorsque le troisième mandat d’Alassane Ouattara était contesté dans les rues en Côte d’Ivoire, le changement constitutionnel intervenu en 2016 a redistribué les cartes des mandats présidentiels à cause de la non-rétroactivité de la loi.
M. Ouattara s’est donc vu offrir l’occasion de postuler pour un troisième, puis un quatrième mandat qui est au centre de la tension politique dans le pays aujourd’hui. « Oui, je suis candidat parce que la constitution de notre pays m’autorise à faire un autre mandat et ma santé me le permet », a-t-il déclaré en juin dernier.
En ce qui concerne la mise à l’écart des dossiers des principaux candidats de l’opposition, son gouvernement a toujours répondu que c’est une décision de justice dans laquelle il ne peut pas s’immiscer.
Elections, moments de tension en Côte d’Ivoire
Dr Yves Amaizo pense qu’il y a des éléments, dans un passé récent surtout, qui prédisposent la Côte d’Ivoire à la concentration « des yeux, des oreilles et même de la bouche de l’Afrique et du monde », parce qu’on attend de voir comment la situation d’aujourd’hui va évoluer.
D’abord c’est l’instabilité du pays lui-même qui inquiète, avec ce mandat de plus d’Alassane Ouattara et les critiques formulées contre le processus électoral par l’opposition dont les partisans veulent un changement.
Pour M. Amaizo, tous ces éléments prennent « des allures qui peuvent devenir de la violence. Ce n’est plus la sécurité extérieure qui est, pour moi, la plus dangereuse pour la Côte d’Ivoire, c’est interne ».
Ajoutés à tout ça, des tensions politiques latentes, une fragilité de la réconciliation post 2010-2011, des clivages politiques qui subsistent toujours et la prolifération des fausses informations et deepfakes qui menacent la confiance et la stabilité du processus électoral.
« Il faut qu’on puisse trouver un consensus pour arriver à la réconciliation nationale, qui n’a pas eu lieu. C’est ça le fond du problème. Si elle avait eu lieu au départ, aujourd’hui, il n’y aurait pas de souci ».
Dr Yves Amaizo souligne en outre que cette instabilité peut toucher la région étant donné que « toute la zone sahélienne est en difficulté ».
« On ne peut pas parler de la sécurité nationale, donc des frontières, sans penser à toute la structure sous-régionale. Parce que en face, nous avons des terroristes, des djihadistes, des mercenaires. Donc c’est une multitude, en fait, ce que j’appelle la polycrise ou les polycrises dans la région du Sahel ».
Pour Dr Tawa Prince Netton, la Côte d’Ivoire est un bouclier pour toute la région. « Après que les digues du nord sont cédées, les groupes armés veulent atteindre la côte.
« Atteindre la Côte d’Ivoire, ce sera aussi atteindre quelques grands centres ivoiriens, bien sûr, mais aussi occidentaux. Donc, la Côte d’Ivoire reste un bouclier sur le plan sécuritaire. Et puis, ce n’est jamais bon de voir le terrorisme gagner plusieurs États dans la sous-région ».
Evoquant l’exemple des pays comme le Togo, le Bénin, le Ghana, le Burkina Faso, voisins de la Côte d’Ivoire touchés par des attaques des groupes armés, Dr Amaizo ajoute que la Côte d’Ivoire n’a pas le droit de faire un faux pas pour perdre sa stabilité fragile, « puisque le Sahel est une région enclavée qui ne s’arrête pas ».
« Pour le moment, le système ivoirien fonctionne relativement bien et donc on n’a pas eu de difficultés, sauf qu’il faut se rappeler quand même Grand Bassam, donc ce n’est pas impossible non plus ».
Le problème de rupture en Côte d’Ivoire, poursuit-il, est fondamental pour la Côte d’Ivoire elle-même, et bien sûr pour la sous-région de manière générale. « Et tout le monde observe pour voir si cette démocratie va fonctionner et s’il n’y aura pas, bien sûr, toutes les violences qu’on a connues dans le pays en 2010-2011 ».
C’est d’ailleurs la raison qu’invoque, selon Dr Tawa Prince Netton, le président sortant Alassane Ouattara pour briguer un quatrième mandat : renforcer et assurer la stabilité économique et politique.
« Nous sommes un État, ce sont les institutions qui gouvernent et non un individu. Il y a un système de sécurité qui est mis en place. Un autre pouvoir pourrait, bien sûr, continuer à faire de la Côte d’Ivoire un bouclier antiterroriste. Ce n’est pas forcément un individu ».
Il faut alors que cette élection présidentielle, malgré tout ce que dénonce l’opposition, soit transparente et que seule la vérité des urnes prévaut. C’est ce qui, selon Dr Amaizo, apaisera le pays.
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Source:news.abidjan.net