Le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants. Se posent les questions de sa rentabilité et de son parcours.
Deux tracés possibles pour le futur grand gazoduc Nigeria-Europe. Le premier passe par l’Algérie ; il serait d’une longueur de 4 128 kilomètres, dont 1037 km traversant le territoire du Nigeria, 841 km parcourant le Niger et le plus long tronçon, soit 2310 km, traversant le territoire algérien jusqu’à la côte méditerranéenne.
L’idée d’un gazoduc reliant le Nigeria à l’Algérie a germé dans les années 1980. Un protocole d’accord a été signé en 2009 pour la réalisation de ce projet avec l’Algérie. En juillet 2016, à l’occasion du 27e sommet ordinaire de l’Union africaine le Nigeria réaffirme sa volonté d’engager le lancement du gazoduc trans-saharien, détenu à 90 % par Sonatrach et la NNPC, et à 10 % par la Compagnie nationale du pétrole du Niger.
Il sera nécessaire d’impliquer les États traversés dans des négociations pour l’octroi du droit de passage et d’évaluer les risques économiques, politiques, juridiques et sécuritaires.
En septembre 2021, le ministre nigérian de l’Energie déclarait, en marge de la conférence Gastech, que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie. En 2022, une feuille de route est enfin approuvée par les représentants du Niger, de l’Algérie et du Nigeria.
Récemment une rencontre entre les trois ministres de ces pays a été consacrée en février 2025 à l’examen du gazoduc continental et à la réalisation d’un pipeline de 100 km au Nigeria, 1.000 km au Niger et 700 km en Algérie (soit 1800 km au total). Le coût initial du projet estimé à 10 milliards de dollars en 2009 a augmenté à 13 milliards $ en 2023.
Or, les présentes tensions entre l’Algérie et le Niger ne permettent pas la réalisation de ce projet. Le Niger est largement influencé par la Russie qui entend revenir en force dans l’approvisionnement de l’Europe via l’Allemagne. Nous voyons a également la volonté des États-Unis d’accroître ses exportations de GNL. Cette concurrence affecte sévèrement l’Algérie.
Pour sa part, le projet gazoduc Nigeria – Maroc est long de 5 660 kilomètres. Il longera la côte ouest de l’Afrique en passant par le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie. Il permettra d’alimenter les pays enclavés que sont le Niger, le Burkina Faso et le Mali.
L’Algérie devra également tenir compte de la Libye , dont le maréchal Haftar, hostile à l’Algérie, contrôle les principaux gisements, et de l’exploitation conjointement par le Sénégal et la Mauritanie de l’important gisement de l’Ile de la Tortue.
Quatre conditions pour la rentabilité
Et se pose ici la question du Sahara occidental dont le problème n’a pas été résolu. À long terme, il sera connecté au Gazoduc Maghreb Europe et au réseau gazier européen. La CEDEAO et l’ensemble des pays traversés par le gazoduc se sont engagés à contribuer à la faisabilité, aux études techniques, à la mobilisation des ressources et à sa mise en œuvre.
Du côté marocain, la directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) avait présenté en mars 2O25, à Washington, les avancées majeures du Gazoduc Afrique-Atlantique (GAA) lors d’un événement organisé par le Think tank américain Atlantic Council. Précisant que l’investissement nécessaire pour sa construction est de 25 milliards $ avec la première phase de réalisation pour 2O29. De son côté, le ministre nigérian des Finances, Wale Edun, vient de déclarer que les États-Unis manifestent un intérêt pour investir dans le GAA,
La rentabilité économique des deux projets Nigeria-Europe repose sur quatre conditions. Premièrement, la rentabilité, en fonction de la concurrence, des coûts et de l’évolution du prix du gaz. Une étude de marché est nécessaire pour évaluer la demande en gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans le lancement d’un tel projet nécessitant des investissements considérables.
Deuxièmement, la sécurité constitue un enjeu majeur, le projet traversant plusieurs zones instables pour le tracé passant soit par le Maroc ou par l’Algérie. Ces zones peuvent compromettre la fiabilité du projet en raison de la présence de groupes armés susceptibles de perturber la fourniture et l’approvisionnement en gaz. Il sera donc nécessaire d’impliquer les États traversés dans des négociations pour l’octroi du droit de passage (paiement de royalties) et d’évaluer les risques économiques, politiques, juridiques et sécuritaires.
Troisièmement, la mobilisation du savoir-faire et du financement pose problème, notamment en raison de la situation économique, sociale et politique des différents pays. Ce qui implique des partenariats et des financements internationaux qui seront difficiles à trouver dans les circonstances présentes.
Quatrièmement, il sera indispensable d’associer le partenaire européen, principal client du gazoduc. Tout dépendra des discussions avec Bruxelles. Sans le ferme soutien et la totale implication de l’Europe, il sera difficile de réaliser ce grand projet.
Par Abderrahmane Mebtoul ; professeur des universités, expert international.
@AB
Source: New African/Magazine de l’Afrique