L’art africain s’affiche dans le Golfe

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Le nouvel espace d’exposition permanent d’Efie prévoit d’exposer des artistes africains majeurs tout en renforçant les liens culturels entre le continent et l’Arabie.

 

Alserkal Avenue abrite plus de 70 galeries d’art contemporain. Ce quartier artistique de Dubaï s’enrichit, depuis avril 2025, de son premier espace dédié à l’Afrique. La nouvelle galerie Efie a fait ses débuts avec une exposition consacrée à l’artiste afro-cubaine María Magdalena Campos-Pons et à son travail explorant le thème de la terre et de l’appartenance.

« Lorsqu’il s’agit de représenter les Africains et la diaspora africaine, l’art peut remettre en question les stéréotypes, revendiquer l’histoire et affirmer des identités qui ont longtemps été déformées ou effacées. »

L’équipe Efie est présente à Dubaï depuis 2021, où elle travaillait dans des espaces temporaires, mais le nouvel espace de 400 mètres carrés permet d’exposer davantage d’œuvres. Dès l’entrée, la hauteur sous plafond met en relief des sculptures inspirées de la canne à sucre qui nous transportent dans les plantations sucrières de Cuba, où des milliers de travailleurs africains, dont des parents éloignés de María Magdalena Campos-Pons, étaient réduits en esclavage.

À l’étage, des salles plus petites présentent les célèbres œuvres en capsules d’aluminium du maître ghanéen El Anatsui, les photographies picturales de l’Éthiopienne Aïda Muluneh et une fresque colorée du Malien Abdoulaye Konaté.

« Nous avons pensé qu’il fallait proposer une sélection très diversifiée. Un jour, vous venez à une exposition et vous la détestez, en disant « c’est ridicule ». Et le mois suivant, vous revenez et vous pensez « Oh, c’est la plus belle exposition que j’ai jamais vue » », explique Kwame Mintah, l’un des fondateurs. « À ce moment-là, vous ne pouvez pas dire si vous détestez ou aimez l’art africain, car vous réalisez que l’art africain n’est rien d’autre que cela : de l’art. »

Son frère Kobe et sa mère Valentina ont décidé de se lancer dans cette aventure sans avoir de formation artistique particulière, mais plutôt animés par la passion de revaloriser l’image de leur continent après avoir vécu plusieurs années loin du Ghana, leur pays natal, au Royaume-Uni et aux Émirats arabes unis (EAU).

« Nous n’avons pas grandi en voulant devenir artistes. Nous avons simplement grandi en sachant qui nous étions et en voulant le représenter », nous confie Kwame Mintah. « Nous avons observé l’Angleterre et avons remarqué que l’art africain y était considéré comme secondaire : on y trouve principalement de l’artisanat ou des images d’animaux sauvages. »

 

Dubaï, une toile vierge

Alors que la scène artistique occidentale réduisait l’Afrique à un ensemble de thèmes concrets, le Moyen-Orient, et en particulier le Golfe, était une toile vierge, explique Kwame. La famille Mintah a décidé d’ouvrir sa galerie à Dubaï.

« Alors qu’en Occident, tout était axé sur la structure narrative, ici, c’était comme si on nous donnait une toile vierge pour construire le récit. C’était à nous de définir l’art africain. »

L’aventure a commencé par leur participation au Festival All Africa, un événement annuel célébrant la culture africaine aux Émirats arabes unis, avec une exposition d’arts visuels dans un pavillon du Burj Plaza conçu par l’architecte ghanéenne Alice Asafu-Adjaye.

                                                        La galerie Efie.

 

L’un des artistes dont les œuvres ont été exposées était le Ghanéen Yaw Owusu, connu pour ses sculptures incorporant des pièces de monnaie qui explorent la nature changeante et éphémère de la valeur dans différents contextes économiques et culturels.

« La présence d’Efie aux Émirats arabes unis a non seulement donné de la visibilité à mon travail, mais surtout, elle a approfondi et élargi le contexte dans lequel il est reçu », explique Yaw Owusu à NewAfrican. Après son passage au pavillon d’Efie, Yaw Owusu a effectué une résidence avec la galerie en collaboration avec l’autorité gouvernementale Dubai Culture afin de développer un ensemble d’œuvres qui aboutira à une première exposition solo aux Émirats arabes unis en 2022.

« En situant ma pratique dans un cadre plus large, cela m’a ouvert de nouvelles voies pour participer à des conversations mondiales, en particulier autour de la notion de valeur, qui reste une préoccupation centrale dans ma recherche et mon processus créatif. »

 

Échanges interculturels

Les Émirats arabes unis accueillent plus de 200 nationalités qui vivent et travaillent dans différentes villes du pays ; à Dubaï, les étrangers représentent environ 92 % de la population.

La visibilité et la portée étaient également des éléments importants pris en compte par la famille Mintah lors du choix de l’emplacement d’Efie. La galerie propose non seulement des expositions, mais organise également des ventes aux enchères et des ventes qui contribuent à soutenir les artistes – l’une des œuvres a été vendue au Louvre à Paris – et offre des résidences artistiques visant à explorer les liens entre le Moyen-Orient et l’Afrique.

« Nous voulions vraiment établir un échange interculturel entre les deux régions, de ne pas simplement être présents ici, mais de nous engager également auprès des gens d’ici », explique Kwame Mintah. « Lorsque les artistes arrivent aux Émirats, ils entrent d’abord en contact avec les artistes locaux, les agriculteurs locaux, les institutions locales afin de comprendre où ils se trouvent… puis ils créent à partir de cet échange. »

                            Kwame, Kobi et Valentine Mintah.

 

L’étape suivante est de lancer un programme bilatéral qui permettra à des artistes du Moyen-Orient de se rendre en Afrique pour connaître le continent et collaborer avec des artistes africains.

Si les œuvres exposées dans la galerie changent constamment pour présenter de nouvelles expositions et de nouveaux artistes, il y a une chose qui ne bouge jamais : une salle d’écoute confortable qui présente une collection de plus de 2 000 disques vinyles originaux, datant des années 1940 à nos jours. On y trouve notamment des disques de Fela Kuti (Nigeria), Warda (Algérie) et African Brothers Band (Jamaïque).

« Dans la plupart des galeries du monde, on a l’impression qu’on ne peut pas parler, qu’on n’a pas le droit d’être là. En tant qu’Africains, nous sommes très attachés à la communauté, nous aimons accueillir et nous sommes très joyeux. En ajoutant cet élément musical, désormais, lorsque des galeries viennent à Dubaï et découvrent notre espace, elles ont l’impression qu’elles ont du retard à rattraper. »

 

Guérison, croissance et compréhension

Jusqu’à présent, les conservateurs et les amateurs d’art de Dubaï ont accueilli favorablement la nouvelle ouverture d’Efie. Après I am soil, my tears are water de María Magdalena Campos-Pons, Efie prévoit une exposition de films et de photographies organisée par le Nigérian Ose Ekore et présentant les œuvres des artistes Samuel Fosso, Aïda Muluneh, Kelani Abass, Abeer Sultan et Sumaya Fallatah. Les œuvres, qui seront exposées en juin et juillet, offriront des récits visuels qui encouragent la réflexion sur la guérison, la croissance et la compréhension à travers le passage du temps.

Les Saoudiens Sultan et Fallatah seront parmi les premiers artistes du Moyen-Orient à exposer à Efie – leurs ancêtres sont arrivés dans la péninsule arabique après avoir quitté l’Afrique. On estime qu’environ 10 % de la population saoudienne peut retracer ses origines en Afrique.

« Lorsqu’il s’agit de représenter les Africains et la diaspora africaine, l’art peut remettre en question les stéréotypes, revendiquer l’histoire et affirmer des identités qui ont longtemps été déformées ou effacées. À travers le langage visuel, la narration et le symbolisme, les artistes africains et issus de la diaspora africaine peuvent aborder les héritages historiques d’une manière à la fois viscérale et intellectuellement stimulante », explique Yaw Owusu.

Kwame Mintah soutient qu’il est non seulement important de voir plus de diversité et de visibilité autour de l’art africain, mais que les Africains eux-mêmes doivent commencer à s’approprier des espaces créatifs tels que les galeries et les académies.

« En tant qu’Africain qui expose des œuvres africaines, je sais que seuls les Africains peuvent comprendre certaines références. J’encourage simplement plus d’Africains s’exposer ainsi, car nous devons nous approprier notre propre récit. Je pense que l’art est comme le tissu de toute société. »

@NA

Source: NewAfrican/Le Magazine de l’Afrique

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