« Quatre pays sur cinq » puisent leur eau dans la mer

Il y a quelques années, Muhammad Yaqoob Baloch et sa famille ont failli abandonner leur maison à Keti Bandar, dans le sud du Pakistan, car les rivières et les puits s’étaient asséchés.

Il était difficile de trouver de l’eau potable et les récoltes étaient régulièrement mauvaises.

« Les habitants de Delhi, Mumbai et de Chine venaient acheter notre riz, notre blé et nos légumes », explique M. Baloch, lui-même agriculteur. « Mais plus de 50 000 hectares de nos terres sont devenues incultivables. »

Beaucoup de gens ont abandonné leurs terres ancestrales, et M. Baloch était sur le point de faire de même jusqu’à ce que le gouvernement ouvre une usine de dessalement et commence à produire de l’eau potable à partir de la mer d’Oman.

Beaucoup de ceux qui sont restés dans la région gagnent désormais leur vie en élevant des crabes dans les canaux d’irrigation, désormais remplis d’eau salée, tout en continuant à cultiver ce qu’ils peuvent.

Le Pakistan fait partie des nombreux pays à travers le monde qui ont augmenté le dessalement de l’eau de mer, car le réchauffement climatique rend l’eau douce de plus en plus rare.

Il n’y a pas si longtemps, cette pratique était principalement réservée aux pays riches et arides du Moyen-Orient, mais le réchauffement climatique a changé la donne.

Selon Global Water Intelligence (GWI), qui fournit des informations sur le marché à l’industrie de l’eau, environ quatre cinquièmes des pays produisent désormais de l’eau de mer dessalée à des fins alimentaires et autres, et ce chiffre ne cesse d’augmenter.

Pendant ce temps, au Koweït, à Oman et en Arabie saoudite, plus de 80 % de l’approvisionnement en eau provient désormais du dessalement, soit de l’eau de mer, soit des réserves souterraines d’eau saumâtre.

Lors de la récente attaque contre les installations nucléaires iraniennes par Israël et les États-Unis, les responsables qatariens ont exprimé leur inquiétude quant à une éventuelle contamination du golfe, qui est désormais la principale source d’eau pour le Qatar, les Émirats arabes unis et le Koweït.

Pourquoi n’y a-t-il pas assez d’eau douce ?

Voici le problème. Près des deux tiers de la surface de la planète sont recouverts d’eau. Cependant, selon l’ONU, seulement 0,5 % de cette eau est potable, et même cette quantité diminue rapidement en raison de la hausse des températures et de la sécheresse.

Dans son rapport de 2023, la Commission mondiale sur l’économie de l’eau a averti qu’il pourrait y avoir une pénurie de 40 % d’ici 2030, alors que la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards d’ici 2050.

La corruption et la mauvaise gestion des ressources en eau ont également contribué à une grave pénurie d’eau dans de nombreux pays.

Les océans contenant plus de 95 % de l’eau mondiale, nombreux sont ceux qui affirment que l’eau de mer est une solution potentielle, même si sa part dans la consommation mondiale totale d’eau reste pour l’instant assez symbolique.

Expansion mondiale

 

 

Les usines de dessalement se sont multipliées dans plus de 20 000 sites à travers le monde, soit près de deux fois plus qu’il y a dix ans, selon des études.

« Le marché du dessalement devrait connaître une croissance accélérée au cours des cinq prochaines années, principalement sous l’impulsion du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, de l’Asie-Pacifique et de certains pays d’Europe », explique Estelle Brachlianoff, PDG de Veolia, l’une des principales entreprises internationales spécialisées dans le traitement de l’eau et experte en dessalement.

Les données recueillies par Global Water Intelligence (GWI) montrent qu’environ 160 pays disposent désormais d’usines de dessalement traitant l’eau de mer.

En moyenne, 60 % de l’eau produite est utilisée pour l’approvisionnement public en eau potable, selon cette organisation.

« Le dessalement aide déjà de nombreux pays à faire face au stress hydrique chronique », explique Rachael McDonnell, directrice générale adjointe de l’International Water Management Institute (IWMI), un organisme de recherche spécialisé dans la sécurité hydrique.

« Si le dessalement n’est pas la solution miracle pour toutes les régions sujettes à la sécheresse, il joue déjà un rôle clé en aidant de nombreux pays à renforcer leur sécurité hydrique face à la sécheresse et à la demande croissante. »

Le GWI estime que le secteur connaît une croissance annuelle supérieure à 10 %.

Il indique qu’au cours des 15 dernières années, la production d’eau potable dessalée a considérablement augmenté dans plus de 60 pays, dans toutes les régions du monde.

Elle montre que si beaucoup d’entre eux ont vu leur production doubler, tripler ou quadrupler (Singapour, par exemple, affiche une augmentation de 467 %), certains ont enregistré une augmentation colossale de 10 à 50 fois.

L’Arabie saoudite est le plus grand producteur d’eau de mer dessalée : 13 milliards de litres d’eau par jour, soit l’équivalent de 5 200 piscines olympiques, selon le GWI.

Le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan utilisent la technologie de dessalement non seulement pour l’eau de mer, mais aussi pour traiter l’eau saumâtre dans les zones où l’eau de mer a envahi et contaminé les nappes phréatiques.

L’Afghanistan l’utilise pour dessaler les nappes phréatiques qui sont saumâtres pour d’autres raisons.

Comment fonctionne le dessalement ?

Le dessalement s’effectue principalement de deux manières.

La première, la plus courante et la plus économe en énergie, est l’osmose inverse, qui consiste à appliquer une pression pour forcer l’eau à travers une membrane semi-perméable qui retient le sel et d’autres substances chimiques.

La deuxième méthode est le dessalement thermique. Elle consiste à chauffer l’eau de mer et l’eau saumâtre, qui s’évaporent ensuite, puis à recueillir la vapeur condensée sous forme d’eau douce.

Accessibilité financière

Le dessalement a toujours été une technologie coûteuse, mais la baisse du prix des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité ont permis de réduire son coût ces dernières années.

En fait, selon les experts, le coût de production de l’eau dessalée a baissé de près de 90 % depuis 1970.

Une étude de l’IWMI indique que l’association du dessalement et de l’énergie solaire pourrait rendre cette technologie encore plus rentable d’ici 2040 dans de nombreuses zones côtières.

Toutefois, selon Veolia, une grande usine de dessalement produisant 500 millions de litres d’eau par jour nécessite un investissement d’environ 500 millions de dollars.

Le transport de l’eau de mer dessalée vers les zones arides de l’intérieur des terres représente un autre coût important à prendre en compte.

« Dans les pays en développement, les coûts restent un obstacle », explique Shakeel Hayat, spécialiste du changement climatique, de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène chez WaterAid, une organisation caritative mondiale qui a contribué à l’installation d’une centaine de petites usines de dessalement en Asie du Sud.

« Pour beaucoup de ces pays, les petites usines solaires qui transforment l’eau saumâtre en eau potable sont plus viables que les grandes usines de dessalement de l’eau de mer. »

La charge de saumure

L’un des plus grands défis du processus de dessalement est l’élimination de la saumure, cette eau salée hautement concentrée qui reste après que l’eau sans sel a été extraite.

Le rejet de cette saumure dans la mer augmente la salinité et la température de l’eau et peut avoir de graves répercussions sur les écosystèmes marins, allant jusqu’à créer des zones mortes autour des sites de rejet.

« Dans la plupart des processus de dessalement, chaque litre d’eau potable produit génère environ 1,5 litre de liquide pollué par le chlore et le cuivre », a déclaré le Programme des Nations unies pour l’environnement.

« S’il n’est pas correctement dilué et dispersé, il peut former un panache dense de saumure toxique susceptible de dégrader les écosystèmes côtiers et marins. »

Les scientifiques ont mesuré des effets négatifs importants sur les coraux et les algues dans le golfe d’Aqaba, qui sépare l’Égypte et l’Arabie saoudite.

Mais ce coût écologique ne semble pas freiner la vague croissante de dessalement dans presque toutes les régions d’un monde en rapide réchauffement et assoiffé.

 

Source:news.abidjan.net

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