D’un maillage tribal d’informateurs à l’ère de l’intelligence artificielle et de la cryptographie post-quantique, le Maroc a fait du renseignement un levier stratégique central.
L’appareil marocain du renseignement, juridicisé et coordonné, incarne désormais une arme de puissance, capable d’anticiper les crises, de neutraliser les menaces et de s’inscrire dans un cadre international normatif.
Le 16 mai 2003, Casablanca était frappée par cinq attentats-suicides qui causaient 45 morts et une centaine de blessés. L’événement bouleverse l’architecture sécuritaire du pays. Moins de deux semaines plus tard, le Parlement a adopté la loi 03-03, texte fondateur qui élargit les pouvoirs d’enquête et inscrit dans le droit marocain la préparation, le financement et l’apologie d’actes terroristes.
Cet instant marque une rupture : le renseignement, jusque-là cantonné à une fonction discrète, s’est doté d’une base juridique solide pour s’ouvrir à la coopération internationale. Le Maroc, désormais, se présente comme un acteur crédible et recherché dans la lutte antiterroriste.
Bien avant l’institutionnalisation moderne, le Makhzen avait développé un système d’alerte reposant sur chefs tribaux, notables et figures religieuses. Cette tradition d’anticipation s’est transformée avec l’indépendance en une architecture institutionnelle complète comme la DGED (Direction générale des études et de la documentation), chargée du renseignement extérieur, la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire), héritière de la DST, orientée vers la sécurité intérieure et le contre-espionnage, les Renseignements généraux intégrés à la police et à la gendarmerie royale, attentive aux zones rurales et stratégiques.
Dans les décennies 1960-1990, ces structures viseront principalement à surveiller les séparatistes, contrer les ingérences étrangères et contenir la criminalité organisée. Mais l’attentat de 2003 imposait une montée en gamme.
Constitutionnaliser le renseignement
La réforme constitutionnelle de 2011 inscrit explicitement dans la loi fondamentale le droit à la vie privée et au secret des communications (article 24), tout en consacrant l’accès à l’information publique (article 27). Le renseignement doit désormais s’exercer dans le cadre de garanties légales et de contrôles judiciaires.
L’article 108 du Code de procédure pénale, qui encadre les interceptions de communications, incarne ce nouvel équilibre entre efficacité opérationnelle et respect des libertés.
En 2015, Abdellatif Hammouchi était nommé directeur général de la Sûreté nationale (DGSN), tout en conservant la direction de la DGST. Cette double casquette, rare au niveau international, favorise la circulation de l’information entre police et renseignement intérieur.
Sous sa direction, la DGSN modernisait ses équipements, renforçant la police scientifique, tandis que la DGST affinait ses outils d’anticipation. Le tandem est salué par les partenaires européens, américains et africains pour sa fiabilité et sa réactivité.
À l’international, la DGED dirigée par Mohamed Yassine Mansouri développera ce que l’on peut qualifier de « diplomatie du renseignement ». Loin de se limiter à la collecte d’informations, elle contribue à bâtir des alliances, à négocier discrètement des coopérations sensibles et à asseoir la position régionale du Royaume.
Pour l’analyste Kamal Akridiss, le Maroc a atteint un seuil où les strates législatives accumulées doivent céder la place à une refonte globale. Une loi-cadre définirait missions, prérogatives et limites des services. Elle pourrait moderniser l’article 108, intégrer la preuve numérique transfrontalière et renforcer la cryptographie post-quantique.
En parallèle, un cadre de gouvernance pour l’intelligence artificielle permettrait d’exploiter ses apports tout en prévenant les dérives. Un rapport public annuel sur les activités de renseignement pourrait enfin consolider la confiance citoyenne.
MK/ac/Sf/APA
Source: Apanews