Les entreprises françaises, victimes collatérales de la crise diplomatique entre la France et l’Algérie

Alors que les relations entre Paris et Alger continuent de se tendre, les entreprises hexagonales installées en Algérie craignent pour l’avenir des relations économiques entre les deux pays, déjà mises à mal par la concurrence de nouveaux entrants comme la Turquie ou la Chine

Depuis quelques semaines, les relations entre Paris et Alger, qui n’étaient déjà pas au beau fixe, se tendent encore un peu plus, notamment par des déclarations par voie de presse interposée. Dernier épisode en date, dans un entretien au journal l’Opinion dimanche dernier, le président algérien Abdelmadjid Tebboune jugeait le climat délétère et regrettait les « déclarations hostiles » quotidiennes venue de France. Un peu plus tôt, Eric Ciotti, le député des Alpes-Maritimes, avait qualifié l’Algérie d’« État voyou ». Dans ce contexte tendu, les 350 entreprises françaises installées en Algérie font le dos rond. « Ces tensions nous dépassent et nous exaspèrent, s’agace Michel Bisac, président de la Chambre de commerce algéro-française. Cela risque de nous amener à une rupture. Il y a quelques jours, le président du patronat algérien était en Italie pour signer des contrats avec les entrepreneurs locaux prêts à prendre nos parts de marché. Nous sommes en train de détruire une économie qui fonctionne très bien avec 6.000 entreprises, en France, qui commercent avec autant de sociétés algériennes, que ces tensions dérangent également. » L’Italie, mais aussi l’Allemagne et les Etats-Unis sont sur les rangs en particulier dans le secteur de l’énergie. Un projet d’accord a d’ailleurs été récemment signé entre la compagnie américaine Chevron et la compagnie algérienne Sonatrach pour la production d’hydrocarbures offshore.

 

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Renault à l’arrêt près d’Oran

 

La brouille entre la France et l’Algérie ne date pas d’hier. En réalité, les relations entre les deux pays ont souvent été émaillées d’incidents. Ainsi l’été dernier, lorsqu’Emmanuel Macron avait pris position – comme l’Espagne – en faveur du Maroc sur le Sahara occidental, ses déclarations avaient provoqué un tollé en Algérie. Les autorités avaient pris des mesures de rétorsion contre les intérêts français et rappelé leur ambassadeur en France. Symbole de la présence tricolore en Algérie, l’usine Renault de Oued-Tlélat, au sud-est d’Oran, fait les frais de ces frictions. Le site est aujourd’hui à l’arrêt alors que jusqu’à 60.000 véhicules en sortaient chaque année peu après son inauguration en grande pompe il y a dix ans. En effet, suite à de nouvelles normes imposées par l’État algérien, la marque au losange attend depuis plusieurs années un hypothétique feu vert pour reprendre sa production sur place. Dans l’agroalimentaire, l’importation de céréales françaises, l’alimentation de base des Algériens, a été divisée par 3 en 6 ans. Le marché est quasiment fermé aujourd’hui. Mais globalement, d’après la Chambre consulaire algéro-française, les importations de produits français ont augmenté de 7 % l’an dernier en Algérie.

 

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Lenteurs et excès de zèle

 

Originaire de Nice, présent depuis près de 20 ans dans le pays, Michel Bisac emploie lui-même à Alger 120 salariés dans un centre d’appels et de relation client. « Il ne faut pas méconnaître tout ce qui existe entre nos deux pays, prévient-il, la part d’histoire et les 130 années de colonisation. C’est un pays frère et ce qui nous navre tous ici, c’est cette surenchère qui n’a pas de sens. » L’entrepreneur veut croire que les conséquences de ces tensions actuelles de part et d’autre de la Méditerranée resteront limitées. Il affirme qu’Alger n’a pris à ce jour aucune nouvelle mesure contre les entreprises françaises. « Il n’y a pas de blocage franc et massif, assure-t-il. Aucun incident sérieux ne m’a été signalé. Certes, il y a parfois des ralentissements et des lenteurs dus à des excès de zèle de l’administration, chacun ayant tendance à interpréter à sa manière les propos du président Tebboune ou les réactions à ses déclarations. »

 

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Une volonté de diversification

On retrouve en Algérie les fleurons du CAC 40, comme TotalEnergies ou Engie dans l’énergie. A eux deux, BNP Paribas et la Société Générale emploient 3.000 salariés dans le secteur bancaire. Dans celui des services informatiques ou du transport, notamment avec CMA CGM (actionnaire de La Tribune, NDLR), les Français sont également bien représentés. Mais longtemps en tête des échanges internationaux avec l’Algérie (avec 4,5 milliards d’euros d’exportation chaque année et 7 milliards d’euros d’importation, principalement du gaz et du pétrole), la France est aujourd’hui rétrogradée en troisième position derrière la Chine et la Turquie. Ankara a investi massivement dans le pays en particulier dans des industries lourdes comme l’acier. Signe de cette volonté de diversifier ses partenaires étrangers, le port d’Alger a reçu pour la première fois le mois dernier un contingent de 2.500 vaches en provenance d’Irlande, alors qu’elles étaient jusqu’à présent habituellement importées de France. Il faut dire qu’avec ses 45 millions d’habitants, une main d’œuvre qualifiée et payée 2 fois moins cher qu’en France, une énergie très bon marché et une classe moyenne en plein essor, l’Algérie attire les investisseurs. Les autorités algériennes se sont d’ailleurs lancées depuis quelques années dans une politique d’industrialisation du pays à travers la zone de libre-échange africaine (ZLECAf).

Source: APANEWS

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