Il y a quelques jours, Rahmatoulaye Fall a fondu en larmes. Dans la rue, à Dakar, un enfant de l’âge de son fils est venu frapper à la vitre de sa voiture pour demander à manger. « Et là, j’ai craqué », confie-t-elle à BBC Afrique.
Pour cette enseignante sénégalaise installée au Canada, cette scène résume un combat qui la porte depuis des années : permettre aux enfants de grandir dans un environnement épanouissant, où l’adulte comprend qu’un enfant est en construction, qu’il expérimente, se trompe et qu’il a besoin d’être accompagné.
Aujourd’hui enseignante en maternelle en Ontario, Rahmatoulaye Fall travaille avec les tout-petits depuis cinq ans.
Elle a aussi enseigné aux plus grands et en classe TSA pour enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme.
« Ça a été ma plus belle expérience en enseignement. Ça m’a poussée à réfléchir à la réalité de ces enfants en Afrique, où le spectre n’est souvent pas compris, et où l’enseignement différencié est très peu développé », explique-t-elle.
Elle constate, non sans amertume, que les adaptations pédagogiques courantes au Canada pour les enfants à besoins spécifiques sont rarement mises en place sur le continent.
De cette réflexion est née La Classe de Rahma, une plateforme éducative destinée aux parents et aux enseignants.
«J’ai compris qu’il faut d’abord outiller les parents avant d’outiller les enfants », souligne-t-elle.
Pour elle, les fondements d’une éducation bienveillante sont inscrits aussi bien dans le Coran que dans la Bible : l’adulte est comme un berger guidant son troupeau, avec douceur et constance.
Dans une salle lumineuse aux murs colorés, les rires des enfants résonnent comme une douce mélodie. Pas de cris, pas de coups. Ici, dans la Classe de Rahma, on enseigne autrement : avec douceur, respect et empathie.
«Chaque enfant a sa propre manière d’apprendre et de s’exprimer. Mon rôle, c’est de l’accompagner sans le briser », explique l’enseignante.
Dans sa classe, les règles existent, mais elles se posent sans autoritarisme. Elle prend le temps de parler, d’expliquer et d’encourager. Lorsqu’un élève commet une erreur, elle ne punit pas : elle guide vers la réparation.
«Je veux que mes élèves comprennent l’impact de leurs actes, pas qu’ils aient peur de moi », dit-elle, sourire aux lèvres.
Une méthode qui allie bienveillance et rigueur pédagogique
Cette approche repose sur la pédagogie positive : reconnaître les émotions de l’enfant, valoriser ses efforts, et l’aider à développer confiance et autonomie.
Inspirée par des recherches en neurosciences et en psychologie, l’enseignante propose une alternative au système éducatif basé sur la sanction.
Les enfants participent à la vie collective, choisissent parfois l’ordre des activités, résolvent ensemble des conflits, et apprennent à exprimer leurs émotions avec des mots.
Pour elle, la discipline ne signifie pas « faire taire », mais « apprendre à vivre ensemble ».
Les résultats sont visibles : des élèves plus calmes, motivés et capables de prendre des initiatives. « Ils savent que je les respecte, alors ils me respectent aussi », confie Rahmatoulaye.
Changer le regard sur l’enfant en Afrique
En Afrique, les enfants sont rapidement étiquetés, on les traite de paresseux, lents, voire incapables, déplore-t-elle.
« Pourtant, dans ma classe au Canada, des enfants avec le même profil sont qualifiés d’élèves à besoins spécifiques, et bénéficient d’adaptations. Par exemple, un enfant atteint de TDAH [Trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité] a besoin de bouger. Tant qu’il ne dérange pas, qu’il écrive, mange ou colorie debout, cela ne pose pas problème. »
Cette approche, dit-elle, protège l’estime de soi et permet d’apprendre à son rythme.
Elle regrette également la culture de la comparaison : « Qu’on arrête de comparer nos enfants. On dit à un enfant : « l’enfant de ton oncle tel ou de ta tante telle est meilleur en maths ». Peut-être que ton enfant n’est pas bon en mathématiques mais peut-être qu’il excelle ailleurs. Moi, j’étais très faible en mathématiques, et pourtant cela ne m’a pas empêchée de devenir qui je suis aujourdhui. Là, j’enseigne et sans paraître comme condescendante, je peux dire que je fais partie des meilleures enseignantes », affirme-t-elle.
Pour Rahmatoulaye Fall, la manière dont un enfant est accompagné aujourd’hui détermine l’adulte qu’il deviendra demain.
« Ce n’est même pas un privilège. Un enfant a le droit de pleurer, de vivre ses émotions sainement, il a le droit de faire des erreurs et l’adulte a la responsabilité de l’accommoder. Si ses besoins émotionnels ne sont pas pris en compte, il n’atteindra jamais sa pleine réalisation. »
Dans la cour, les enfants s’élancent pour la récréation. Rahma les observe, fière :
« Mon objectif, c’est qu’ils grandissent en ayant confiance en eux, pour qu’ils deviennent des citoyens capables de bâtir une société plus juste. »
L’éducation bienveillante n’est pas sans défis, surtout dans un contexte sénégalais où les classes sont souvent surchargées et les enseignants peu formés à ces approches. Certains craignent d’ailleurs que cette méthode soit assimilée à du laxisme. Rahma en est consciente : « être bienveillant, ce n’est pas tout accepter. C’est poser des limites claires, mais avec humanité. », nuance t-elle.
Malgré les obstacles, elle croit que ce modèle peut transformer la relation maître-élève en Afrique, et préparer des adultes responsables et équilibrés.
Qu’est ce que la pédagogie positive ?
La pédagogie positive vise à enseigner des compétences qui aident à gérer le stress, établir des relations solides, améliorer l’estime de soi, développer une pensée équilibrée et un mode de vie sain.
En acquérant ces compétences, les enfants acquièrent les outils nécessaires de la pédagogie positive pour réussir dans leur vie scolaire et personnelle.
Les méthodes de la pédagogie positive sont basées sur des expériences scientifiques. C’est une approche qui s’appuie sur le cadre de référence de la psychologie positive et humaniste mais également sur les connaissances acquises par la recherche.
Elle met l’accent sur la valeur de la rencontre chaleureuse avec chaque enfant et adolescent, sur le soutien en cas de difficulté et, surtout, sur le fait de voir le bien.
Au cœur de cette pédagogie se trouvent l’appréciation et l’enseignement des forces de caractère et des compétences socio-émotionnelles, parallèlement aux matières scolaires traditionnelles.
La clé est de comprendre l’importance des émotions positives et des interactions chaleureuses pour un bon apprentissage et une bonne croissance.
5 avantages de la pédagogie positive
La « classe de Rahma » s’inscrit dans une approche de pédagogie positive : une éducation humanisante, qui peut parfaitement s’appliquer à une classe bienveillante.
Pour sa promotrice, l’idée est de rompre avec l’approche punitive et autoritaire, ce qui favorise un développement durable des compétences émotionnelles et sociales de l’enfant.
Elle propose des outils concrets pour développer confiance, autonomie, estime de soi non seulement dans l’environnement familial, mais aussi en milieu scolaire.
La méthode s’appuie sur des principes scientifiquement fondés et adaptés au contexte africain, plutôt que sur des modèles importés sans contextualisation.
Voici 5 avantages de cette méthode d’enseignement :
1. Elle diminue et prévient la dépression
Les méthodes de la psychologie positive appliquées à la pédagogie positive, par exemple la connaissance de soi, le développement de nos points forts ou la pratique de la gratitude, contribuent à accroître le bonheur et à réduire la dépression chez les étudiants.
2. Les élèves heureux obtiennent de meilleurs résultats
Les élèves heureux sont plus créatifs que leurs pairs, ils peuvent mieux se concentrer et jouent un rôle plus important dans la communauté. Avec les méthodes de la psychologie positive, l’éducation accroît leur motivation et leur intérêt.
3. La pédagogie positive motive les élèves et améliore la vie et le travail des enseignants
Les élèves sont plus motivés par la pédagogie positive, ce qui rend le travail avec eux beaucoup plus facile. Elle contribue également à créer un environnement scolaire bienveillant qui prévient le développement de problèmes de comportement.
Des études montrent qu’en combinant des objectifs et des tâches avec optimisme, les élèves font preuve d’une motivation forte, constante et durable.
4. Elle améliore la flexibilité et la résilience
Les résultats de la recherche menée par l’Université de Pennsylvanie ont montré que les élèves qui avaient participé au programme développant la compétence de flexibilité étaient plus optimistes, plus flexibles, plus résistants et avaient plus d’espoir et moins de stress que leurs camarades avant les examens.
5. Améliorer le développement humain et devenir un adulte
Des recherches ont montré que la pédagogie et la psychologie positives en classe aident les enfants, en améliorant leur force personnelle et en facilitant leur bon comportement qui peut être maintenu à long terme.
Elle apprend aux enfants à rechercher le bonheur et leur fournit des techniques pour la vie quotidienne.
Source: Abidjan.net