La cinéaste Mazigna Barros parcoure le monde pour présenter ses créations. Ses films, multi-récompensés, engagent la réflexion sur des questions sociales essentielles.
Quel a été votre parcours ?
Depuis mon enfance, le théâtre a toujours occupé une place spéciale dans mon cœur, bien que ma mère ait eu des réserves à ce sujet ! En 2014, j’ai eu l’opportunité de me plonger dans le monde du doublage. Pendant de nombreuses années, j’ai consacré ma vie à mes enfants et à soutenir mon mari dans la réalisation de ses rêves, au détriment de ma propre carrière.
J’ai finalement compris qu’il était temps pour moi de devenir l’actrice de ma propre vie plutôt qu’une simple spectatrice. C’est ainsi que j’ai décidé de m’inscrire à des cours de théâtre. Cette décision a ouvert la porte à de nouvelles opportunités, me permettant de participer à une série au Sénégal, Tic Tac, sous la direction du réalisateur Bachir Sall.
Mon parcours m’a également inspirée dans l’écriture de scénarios, donnant vie à des courts métrages tels que Mariage à quel prix ?, Mirage, Sous silence. Chacune de ces histoires est ancrée dans des réalités qui me tiennent à cœur ; elles cherchent à susciter la réflexion sur des questions sociales cruciales. J’ai eu l’honneur de représenter le Sénégal dans divers festivals de courts métrages, notamment au festival Louxor en Égypte, à Madagascar, à Agadir et à Dakhla. Mon travail a été reconnu à l’international, et j’ai été primée pour mes contributions artistiques.
Et le théâtre ?
J’ai appris à exprimer mes pensées et mes sentiments de manière authentique. J’ai aussi découvert que le fait de jouer un personnage me permettait de m’évader.
Mon passage du doublage au théâtre s’est fait naturellement, car les deux vont souvent de pair. Cette expérience m’a permis de mélanger les compétences vocales que j’avais développées avec la présence scénique et le jeu corporel. Le théâtre m’a vraiment aidée à mieux maîtriser mes émotions et à transmettre des sentiments de manière plus authentique.
Et du doublage au théâtre, vous vous tournez vers l’écriture ; le besoin de vous raconter ?
L’écriture, pour moi, est une boulimie créative et un besoin viscéral de m’exprimer ! Je crois fermement que chaque histoire mérite d’être racontée, et j’ai cette profonde envie de partager des vérités qui résonnent avec le public. C’est une nécessité fondamentale dans ma vie.
Pourquoi les thèmes de vos courts métrages ?
Ces œuvres abordent des thèmes tels que la pression sociale et l’inceste, des réalités qui méritent d’être mises en lumière. J’écris pour éveiller les consciences. Mon film Sous silence, par exemple, a reçu de nombreuses consécrations. Il a été primé au Festival London Independent Film Award (meilleur film), au We Makefilms international (meilleure actrice) ; au Festigious Los Angeles Prix, en décembre (meilleur drama) ; au Los Angeles Cinématographique Awards (meilleure réalisatrice) ; au Luxor African Film Festival en Égypte (Coup de cœur du jury) ; au Viavy Film Festival (Coup de cœur du jury films des femmes de Madagascar). Sans oublier mon film Mirage, qui évoque la migration, a été primé au festival Cinéma Image et vie, au Sénégal.
Qu’est ce qui est le plus difficile dans le métier de réalisatrice en tant que femme noire, la recherche de financement ?
Jusqu’à présent, je n’ai jamais vraiment été confrontée à des obstacles majeurs en tant que réalisatrice noire, mais je suis bien consciente des défis que d’autres rencontrent dans l’industrie. Même si ma propre expérience a été plutôt positive, je vois et entends les histoires de celles qui luttent pour obtenir la reconnaissance et le soutien dont elles ont besoin.
En effet, la recherche de financement peut se révéler un parcours du combattant, car il subsiste une méfiance envers les projets portés par des femmes et des minorités. Cela dit, je reste optimiste. Je crois qu’il y a un changement en cours, avec de plus en plus de personnes et d’organisations qui commencent à comprendre l’importance de la diversité dans le cinéma.
C’est un combat collectif, et j’espère qu’ensemble, nous pourrons continuer à ouvrir des portes et à créer des opportunités pour toutes les voix qui méritent d’être entendues.
Plus généralement, l’accès au financement reste l’un des plus grands défis ; nous manquons d’un manque de soutien institutionnel et de ressources pour développer des projets. De plus, nous devons affronter des stéréotypes et des préjugés persistants ; ils empêchent une véritable reconnaissance du talent et de la créativité africains.
Que raconte Le café du bonheur, votre dernier court métrage ?
Voilà un projet qui me tenait particulièrement à cœur. J’ai travaillé avec les résidents de la structure Aurore association qui intervient auprès de personnes en situation d’insertion. Jusque-là, je n’avais jamais travaillé dans le domaine social.
Le café du bonheur est ainsi un court métrage dont le titre a été choisi par les résidents eux-mêmes, car ils veulent créer un espace de bonheur. Ce sont des personnes qui ont traversé des épreuves difficiles et qui ont perdu toute confiance en elles. Ce film a pour but de leur montrer qu’elles sont capables et qu’elles peuvent se faire confiance, car tout est possible.
Avec mon équipe nous avons organisé des cours de théâtre où les résidents ont pu s’exprimer librement et créer ensemble. Ils ont écrit le scénario du film, choisi leur personnage et se sont engagés à 1 000 % dans le projet ! En les encadrant, j’ai appris à les connaître et à apprécier leur talent. Mon rôle en tant que réalisatrice a été de les guider et de les aider à donner vie à leurs idées sur le grand écran.
L’objectif principal de ce film était de permettre aux participants de gagner en confiance grâce à l’art. Beaucoup d’entre eux étaient timides et réservés, mais au fur et à mesure du processus, ils ont découvert leur potentiel. Et en réalisant ce court métrage, j’ai moi-même appris l’importance de l’écoute et de l’empathie !
Vous êtes déjà à l’œuvre pour un nouveau projet, au Sénégal…
J’y réalise un film documentaire en hommage à Mansour Seck. J’ai eu l’occasion d’interviewer plusieurs personnes qui ont eu la chance de le côtoyer. De plus, je suis partie avec mon équipe technique au Fouta, à Podor, ce qui a été une première pour moi. Ce voyage enrichissant m’a permis de mieux comprendre son impact et son héritage dans le monde de la musique. J’ai pu retracer son parcours, explorer les influences qui ont marqué sa carrière et découvrir comment sa musique continue d’inspirer de nouvelles générations. C’est une expérience profondément touchante et révélatrice.
Vous êtes Française, aux origines sénégalaises et Bissau-guinéennes ; cette triple culture se ressent-elle dans vos œuvres ?
Cela me permet également d’explorer des sujets universels tout en restant ancrée dans mes racines. Je viens de terminer l’écriture de mon scénario qui se tournera entre la France et le Sénégal. Ce film traite de l’infertilité des hommes, un sujet souvent tabou, car ce sont généralement les femmes qui sont stigmatisées lorsqu’il s’agit de ce problème. J’espère que ce projet contribuera à sensibiliser le public sur cette réalité et à ouvrir le dialogue sur des sujets qui méritent d’être abordés sans honte ni jugement.
Quel message vous aimeriez lancer aux dirigeants africains pour soutenir le secteur ?
Il serait de leur demander de mettre en avant le secteur cinématographique en investissant dans nos artistes et en créant des environnements favorables à la créativité. L’art et le cinéma ont un pouvoir énorme pour provoquer des changements et éveiller les consciences. En soutenant cette industrie, on peut vraiment contribuer à façonner une image positive et diversifiée de l’Afrique sur la scène mondiale. C’est le moment de s’unir et de faire briller nos histoires!
@NA
Source: New African/Le Magazine de l’Afrique