Gates peut-il atténuer les effets de la démolition de l’USAID par Musk ?

Face au désengagement américain, la Fondation Gates va relever ses dépenses jusqu’à 200 milliards de dollars sur vingt ans, explique son président, Mark Suzman.

 

Les pays en développement sont encore sous le choc du démantèlement soudain et total de la plus grande organisation d’aide au développement au monde, l’Agence des États-Unis pour le développement international. Ces coupes ont privé de milliards de dollars d’aide certains des plus démunis de la planète. Dans le même temps, la plus grande organisation philanthropique au monde, la Fondation Gates, a célébré son 25e anniversaire en annonçant qu’elle allait doubler ses dépenses pour les porter à 200 milliards $ sur une période de 20 ans. Le rédacteur en chef de New African, Anver Versi, discute des conséquences et des implications de cette décision avec le PDG de la Fondation Trump, Mark Suzman.

« En 2000, un objectif a été fixé pour réduire la mortalité infantile et maternelle ainsi que la pauvreté dans le monde, mais si quelqu’un avait dit que ces taux pourraient être réduits de moitié en 25 ans, la plupart auraient répondu que c’était impossible. »

Ce fut une semaine étrange en avril : d’un côté, Bill Gates, célébrant le 25e anniversaire de la plus grande organisation philanthropique au monde, déclarait : « Je donnerai la quasi-totalité de ma fortune à la Fondation Gates au cours des vingt prochaines années pour sauver et améliorer des vies à travers le monde » ; d’autre part, Elon Musk, le « démolisseur sans portefeuille » de l’administration Trump, s’en est pris avec sa célèbre tronçonneuse à ce qui était jusqu’à présent la plus grande organisation humanitaire nationale au monde, l’ensemble du programme USAID.

Dans sa frénésie de démantèlement d’une multitude d’organisations publiques américaines, Musk a effectivement supprimé 60 milliards $ d’aide américaine au développement humanitaire dans le monde, plongeant des centaines de pays et d’ONG dans le désespoir.

Il a qualifié l’USAID, qui a non seulement sauvé des millions de vies à travers le monde, mais aussi stabilisé de nombreux pays vulnérables, d’« organisation criminelle ». Son seul crime, semble-t-il, a été son désir inébranlable de faire le bien dans un monde de plus en plus inégalitaire.

Bill Gates, qui s’est toujours efforcé d’éviter toute implication dans les courants politiques et a généralement modéré ses propos, a finalement été poussé à répondre vertement à Musk.

« L’image de l’homme le plus riche du monde tuant les enfants les plus pauvres du monde n’est pas très réjouissante », a-t-il déclaré au Financial Times. En effet, les coupes budgétaires ont déjà des répercussions sur certaines des populations les plus vulnérables du monde. En Ouganda, qui accueille la plus grande population de réfugiés d’Afrique avec 1,8 million de personnes (dont 60 000 nouveaux arrivants au cours des trois derniers mois), le Programme alimentaire mondial (PAM) indique que les rations alimentaires de plus d’un million de personnes ont été complètement supprimées « en raison d’un grave manque de fonds ». Il avait auparavant lancé un appel de fonds de 50 millions de dollars, nécessaires de toute urgence pour aider les réfugiés et les demandeurs d’asile fuyant les conflits en RD Congo, au Soudan du Sud et au Soudan.

La gravité des coupes budgétaires soudaines des États-Unis est rapidement apparue : au Congo, l’organisation humanitaire Action contre la faim a été contrainte de cesser de soigner des dizaines de milliers d’enfants souffrant de malnutrition ; en Éthiopie, l’aide alimentaire a été interrompue pour plus d’un million de personnes, selon la Commission de gestion des risques de catastrophe du Tigré.

Au Sénégal, le plus grand projet de lutte contre le paludisme a été fermé ; au Soudan du Sud, l’International Rescue Committee a fermé un projet qui fournissait un accès à des soins de santé et à des services nutritionnels de qualité à plus de 115 000 personnes ; au Soudan déchiré par la guerre, 90 cuisines communautaires ont fermé à Khartoum, laissant plus d’un demi-million de personnes sans accès régulier à la nourriture, selon l’International Rescue Committee.

Au Kenya, plus de 600 000 personnes vivant dans des zones touchées par la sécheresse et la malnutrition aiguë persistante vont perdre l’accès à une aide alimentaire et nutritionnelle vitale, selon Mercy Corps.

La suspension du financement du Plan d’urgence pour la lutte contre le sida (PEPFAR) depuis le 24 janvier pourrait déjà avoir entraîné la mort de plus de 4 800 enfants.

La liste est longue, et ce ne sont là que les conséquences immédiates de la réduction de l’aide américaine. Les effets négatifs en cascade sur un grand nombre de personnes à travers le monde, ajoutés à la perturbation générale du commerce mondial et, en Afrique, à la perte prévue des privilèges de l’AGOA, sont trop effrayants pour être envisagés.

Mais Musk, un Sud-Africain blanc qui a grandi dans un milieu très privilégié et qui est aujourd’hui considéré comme l’homme le plus riche du monde, n’en avait pas fini.

Les États-Unis se sont retirés de l’Organisation mondiale de la santé, dont ils étaient le plus grand contributeur, avec 12 % à 15 % du budget de l’organisation. Ils ont versé 1,2 milliard $ à l’OMS pour l’exercice biennal 2022-2023.

La Fondation Gates, qui contribue également généreusement à la plus importante organisation mondiale dans le domaine de la santé, a déclaré qu’elle augmenterait sa contribution, mais bien sûr, aucune organisation philanthropique ne peut espérer combler le déficit colossal laissé par le retrait des États-Unis.

Ce qui a le plus choqué le monde, c’est l’absence totale de logique derrière la décision de Musk de réduire son aide. L’ignorance de l’impact et l’indifférence totale au sort de millions de personnes sont effrayantes et vont à l’encontre de la morale, de la philosophie et de la vision politique traditionnelles des États-Unis, qui considèrent la vie humaine comme sacrée…

La manière dont les ordres ont été exécutés suscite également une grande consternation. Par exemple, Musk a annulé les subventions accordées à un hôpital de la province de Gaza, au Mozambique, qui empêche les femmes de transmettre le VIH à leurs bébés, parce qu’il pensait que les États-Unis fournissaient des préservatifs au Hamas à Gaza, au Moyen-Orient !

« J’aimerais beaucoup qu’il aille rencontrer les enfants qui ont maintenant été infectés par le VIH parce qu’il a coupé ces fonds », a déclaré Bill Gates.

 

Le GAVI et le Fonds mondial sont également touchés

La lame acérée de Musk a également coupé les vivres à deux des organisations les plus efficaces dans la lutte contre les pandémies et les maladies mondiales : le Fonds mondial et l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI). Co-fondée par Gates, la GAVI a été créée pour remédier à l’anomalie suivante : les laboratoires pharmaceutiques de pointe sont capables de produire des vaccins efficaces contre certaines des maladies les plus graves qui touchent principalement les pays pauvres, mais ces derniers n’ont pas les moyens de les acheter.

La Fondation Gates et un groupe de partenaires fondateurs, dont l’Organisation mondiale de la santé, l’UNICEF, la Banque mondiale, des gouvernements souverains, des fondations du secteur privé, des entreprises partenaires, des ONG et des fabricants de vaccins, ont décidé non seulement de réduire le prix des vaccins, mais aussi de permettre aux pays en développement de les fabriquer eux-mêmes.

Sans le travail de GAVI, l’impact des pandémies telles que la Covid et des maladies infantiles telles que la polio aurait été beaucoup plus grave. Les contributions annuelles des États-Unis à GAVI sont passées de 48 millions $ en 2001 à 300 millions $ en 2024 dans le cadre d’un contrat de 2,6 milliards $. Il s’agit là d’un autre fossé béant dans le financement d’un service essentiel.

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (connu simplement sous le nom de Fonds mondial) est une autre initiative de partenariat international de financement de la Fondation Bill et Melinda Gates. Créé en 2002,

Il travaille avec les pays pour aider à prévenir, diagnostiquer et traiter le VIH, la tuberculose et le paludisme. Il aide également les pays à se préparer à de futures pandémies et menaces sanitaires.

Jusqu’à ce que Musk s’en prenne à USAid. Les États-Unis étaient le plus grand donateur du Fonds mondial. À ce jour, elle a versé 26,31 milliards de dollars. Un nouvel apport financier est prévu cette année pour les deux organisations. On estime que le travail de ces deux organisations a sauvé la vie de plus de 80 millions de personnes.

On pense que les plus hauts responsables de la Fondation Gates s’efforcent de persuader Trump de revenir sur certaines coupes budgétaires afin d’éviter une catastrophe mondiale, alors que la lutte contre les graves problèmes de santé dans les pays en développement semblait commencer à porter ses fruits.

 

Une lueur d’espoir

La lueur d’espoir dans le ciel assombri par la frénésie d’Elon Musk a été l’annonce que la Fondation Gates allait accélérer ses dépenses pour atteindre 200 milliards $ au cours des 20 prochaines années, avec 2045 comme date butoir pour la fin de ses activités.

« Il y a trop de problèmes urgents à résoudre pour que je conserve des ressources qui pourraient être utilisés pour aider les gens », con sidère Bill Gates. « C’est pourquoi j’ai décidé de redonner mon argent à la société beaucoup plus rapidement que je ne l’avais initialement prévu », écrit Bill Gates.

Dans un autre message, M. Gates a déclaré que la raison de cette accélération des dépenses était d’avoir un impact maximal, avec la possibilité de trouver des solutions définitives, telles que l’éradication de la polio et la guérison du VIH. « Cela nous donne une vision claire », a-t-il déclaré. « Nous aurons beaucoup plus d’argent parce que nous dépensons sur vingt ans, plutôt que de nous efforcer d’être une fondation perpétuelle. »

La fondation continuera à consacrer la majeure partie de son budget, qui passera à environ 10 milliards $ par an, à la santé mondiale, en continuant à mettre l’accent sur les vaccins et la santé maternelle et infantile. Mais Bill Gates a ajouté que la philanthropie privée ne pourrait pas combler le déficit résultant des coupes budgétaires de l’USAID.

 

Accélérer les dépenses

Quelques jours avant l’annonce de Bill Gates concernant l’accélération des dépenses sur une période de 20 ans, j’ai eu le plaisir d’interviewer en exclusivité Mark Suzman, le PDG de la Fondation Gates. Je lui ai demandé quelle était la raison derrière ce changement de calendrier, passant d’une perspective « infinie » à une période définie.

Il m’a répondu qu’après avoir réfléchi aux progrès accomplis au cours des 25 dernières années, notamment en matière de réduction de la mortalité infantile évitable et de l’impact des maladies infectieuses, en particulier dans les pays du Sud, y compris en Afrique, il était apparu que ces objectifs pourraient être atteints en se concentrant sur ces questions au cours des deux prochaines décennies.

« Notre intention est de réduire autant que possible la mortalité infantile évitable », a-t-il déclaré. « Nous pensons qu’elle a été réduite de moitié au cours des 25 dernières années, y compris sur le continent africain. Nous pensons qu’elle peut être réduite au moins de moitié, voire davantage.

Nous pensons que, pour les maladies infectieuses, nous pouvons réellement éradiquer la polio et peut-être même le paludisme dans ce délai, et vraiment maîtriser la tuberculose et le VIH, qui sont les autres grandes maladies infectieuses, grâce à de nouveaux traitements, de nouvelles interventions et de nouveaux programmes de prévention. »

Je lui ai demandé comment l’organisation allait s’assurer que les fonds restants seraient dépensés efficacement au cours des 20 prochaines années, plutôt que d’être simplement dépensés rapidement pour respecter la date de clôture que vous vous êtes fixée.

Il a répondu qu’au-delà de ses succès, l’organisation avait également commis des erreurs au cours de ses 25 années d’existence. « Nous pensons avoir désormais une idée claire des interventions qui ont le plus d’impact. » Il a ajouté que la principale force de la Fondation réside dans « sa capacité à se concentrer sur l’innovation et à la développer : de nouveaux outils, de nouveaux dispositifs, de nouvelles interventions, de nouvelles politiques qui peuvent réellement accélérer le rythme des progrès.

C’est quelque chose que la philanthropie peut faire mieux que les gouvernements, car nous sommes capables de prendre des risques et d’absorber les échecs dans des domaines où les gouvernements ont des difficultés, puis les gouvernements doivent assumer la responsabilité de la mise à l’échelle et de la mise en œuvre. »

Il m’a confié que de nouvelles interventions étaient en cours dans le domaine de la santé maternelle et infantile et de la nutrition, ainsi que de nouvelles recherches sur le microbiome et d’autres questions connexes dans la prévention et le traitement du VIH.

« Il existe un premier vaccin contre la tuberculose depuis plus d’un siècle, dont nous finançons actuellement les essais sur le continent africain, et nous investissons 700 millions $ dans ce vaccin », a-t-il déclaré.

S’il fonctionne, cela pourrait changer la donne pour la tuberculose, qui reste la maladie qui tue le plus d’adultes dans le monde, considère-t-il.

Dans chaque cas, il précise que des investissements spécifiques peuvent être réalisés pendant cette période, par exemple dans le vaccin contre la tuberculose ou même en dehors du domaine de la santé, comme de nouveaux outils d’IA pour le développement agricole ou l’inclusion financière qui peuvent atteindre les personnes qui en ont besoin.

Je lui ai demandé si le nouveau calendrier et les nouveaux paramètres de dépenses allaient changer le mode de fonctionnement de l’organisation.

Il a répondu que la Fondation ne prévoyait pas de s’étendre à de nouveaux domaines, mais qu’elle allait redoubler d’efforts dans le domaine de la santé mondiale et dans des domaines tels que le développement agricole, « qui est essentiel pour l’Afrique et auquel nous resterons attachés pendant cette période ».

Il a relativisé l’accélération du financement : « Avec 200 milliards de dollars sur 20 ans, cela représente en moyenne 10 milliards de dollars par an, ce qui nous permet de rester très cohérents et stables au niveau très élevé des subventions que nous accordons déjà, qui sont bien supérieures à celles de toute autre fondation dans le monde. »

J’ai soulevé la question épineuse de l’impact du démantèlement de l’USAID et de la réduction drastique de l’aide humanitaire par l’administration américaine actuelle.

« Les États-Unis ont toujours été, et de loin, le plus grand donateur mondial », a-t-il répondu. « Ils ont versé près de 70 milliards de dollars d’aide totale l’année dernière. Ils sont également le plus grand donateur dans le domaine de la santé mondiale. » Leur aide mondiale en matière de santé est nettement supérieure au double de celle de la Fondation Gates.

Cela pose donc des défis très importants, et d’autres pays comme le Royaume-Uni, qui a récemment annoncé une réduction de 40 % de son aide, la France, qui a annoncé une réduction de 37 % de son aide, les Pays-Bas, qui ont annoncé une réduction de 50 % de leur aide, ont pris des mesures très importantes.

« Nous ne pensons pas que ce soit le dernier mot », juge-t-il avec optimisme. « Nous plaidons très fortement à Washington, à Londres, à Paris, dans toutes les capitales, pour que ces pays du Nord maintiennent une forme de financement, et que même si leur APD (aide publique au développement) totale diminue, ils concentrent les investissements restants sur les domaines les plus importants et les plus efficaces, ceux qui, nous le savons, sauvent des vies»

Il s’est dit convaincu que « les États-Unis finiront par fournir un certain financement à l’Alliance GAVI pour les vaccins, et en particulier au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont ils sont le principal bailleur de fonds.

Il a ajouté qu’il pensait que des ressources continueraient d’affluer des pays du Nord, « mais c’est aussi un signal d’alarme pour tous ceux d’entre nous qui travaillent dans ce secteur. Nous ne pouvons pas compter sur des ressources provenant d’ailleurs ».

 

L’Afrique doit prendre le relais

Il a soulevé une autre question cruciale : « Nous espérons et croyons que ces deux décennies seront celles où les pays africains prendront le relais et assumeront véritablement leurs responsabilités et leur leadership. Nous avons déjà constaté des mesures fortes en ce sens ».

Il a mentionné que des pays tels que le Nigeria, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud explorent déjà ce qu’ils peuvent faire dans le secteur de la santé à la suite des coupes budgétaires et « nous leur apportons notre soutien ». Cela s’est traduit par un engagement de 30 millions de dollars en faveur d’une douzaine de pays africains pour les aider à évaluer l’impact de ces coupes.

Compte tenu du caractère imprévisible de ces coupes budgétaires et de leur mise en œuvre soudaine et généralisée, est-il convaincu que la Fondation atteindra tous ses objectifs au cours des deux prochaines décennies ?

« Nous sommes convaincus que le monde dispose des outils nécessaires et que nous serons en mesure de développer les innovations, les plateformes et les moyens pour y parvenir, mais cette réussite dépendra largement du soutien mondial, qui doit venir à la fois du secteur public et du secteur privé.

Notre travail doit être mené en premier lieu par les pays eux-mêmes, ce qui est notre priorité et notre engagement en Afrique»

« Nous avons désormais cinq bureaux en Afrique. Lorsque nous avons été créés, nous n’avions aucun bureau en dehors des États-Unis. Nous sommes aujourd’hui présents au Sénégal, au Kenya, en Éthiopie, au Niger et en Afrique du Sud, et nous travaillons sur tout le continent. »

En repensant aux 25 dernières années, quelle est la réalisation dont il est le plus fier ?

« En 2000, lorsque les objectifs du Millénaire pour le développement ont été lancés et que la Fondation Gates a été créée, un objectif a été fixé pour réduire la mortalité infantile et maternelle ainsi que la pauvreté dans le monde, mais si quelqu’un avait dit que ces taux pourraient être réduits de moitié en 25 ans, la plupart auraient répondu que c’était impossible. »

« Et pourtant, nous avons franchi bon nombre de ces étapes importantes. Quand je dis « nous », je parle de la Fondation Gates, qui, je le répète, n’est qu’un des nombreux partenaires du secteur public et privé qui se sont réunis, se sont concentrés sur ces objectifs et ont veillé à ce qu’ils soient réellement atteints. »

« L’impact de la Fondation Gates ne se mesure pas en dollars dépensés, mais en vies sauvées et en opportunités offertes aux plus pauvres et aux plus vulnérables ».

@NA

Source: New African/ Le Magazine de l’Afrique

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