La question suscite un débat au sein des sociétés africaines. Comment répartir les charges financières et les tâches domestiques entre les époux dans le ménage ? Mais Fefa Alou, patronne d’un atelier de haute couture homme-dame à Lomé, que nous avons eue au téléphone, pense qu’il n’y a pas de recette miracle pour régler la situation.
« Il est facile de dompter son homme si vous voulez qu’il fasse ce que vous voulez. Mais soyons clair, je ne parle pas de maraboutage, je parle de la douceur avec laquelle on peut apprivoiser son homme », lance-t-elle lorsque nous l’avons jointe depuis Lomé.
La dame nous indique qu’il ne doit pas y avoir de tabou sous le toit conjugal. Il est important que les époux parlent de tout et que surtout « la femme doit être le »terminus » de son mari ».
« Il arrive que mon mari lave mes dessous, quand bien même c’est lui qui s’occupe de la grande partie des charges financières. Je ne dis pas que je ne fais rien. Le frigo et les fringues des enfants me concernent, même si monsieur participe de temps en temps », dit-elle, avant d’ajouter : « Mon mari cuisine pour nous à la maison quand je suis occupée. D’ailleurs, il est naturel à la cuisine comme je le suis pour lui au lit ».
Mais Ousmane Camara, commerçant au marché Barack dans le quartier Liberté 6 extension à Dakar, pense de son côté que dans le foyer l’homme a une responsabilité unique à laquelle il ne doit pas dérober. C’est de « nourrir sa famille, ça s’arrête là ».
« Si je cuisine, pendant ce temps ma femme fait quoi ? Si je fais la lessive, elle [la femme] serait où ? Vous savez mon cher, la modernité nous détourne de ce que nos parents ont instauré. Et c’est pourquoi ils avaient vécu longtemps parce qu’ils respectaient la nature », explique M. Camara.
Tout étant d’accord que c’est l’homme qui s’occupe financièrement de sa famille, Camara précise qu’il n’est pas question que ce dernier, après tous les efforts qu’il fournit pour mettre à l’aise sa famille, devienne aussi « un homeboy » comme il l’a appelé. Il reste toutefois réservé sur la contribution financière de la femme dans le foyer.
« Si l’homme n’a pas les moyens, elle peut le faire. Mais l’homme reste toujours la tête ».
Roger Kpakou, Conseiller juridique, juriste au ministère togolais en charge des Droits de l’homme souligne que c’est l’amour qui doit être au centre de tout dans le foyer.
« Les époux doivent discuter ouvertement de leurs revenus, de leurs charges et convenir ensemble d’une répartition adaptée. Dans les conditions normales, les époux sont des personnes qui s’aiment, donc il faut discuter en mettant l’amour au centre », affirme-t-il.
Alors, comment doivent se comporter les époux dans le ménage ?
Loyer, eau, électricité, courses, frais divers sont des charges qui, sous le prisme africain et dans un passé très récent, sont traditionnellement réservées aux hommes. L’homme est considéré comme le pourvoyeur financier de la famille.
Avec le temps, le débat s’est posé sur la contribution financière aux charges du couple et les tâches dans le ménage. Cette question devient importante et parfois délicate à aborder dans de nombreux pays africains où la femme est réduite seulement aux tâches ménagères, notamment nourrir la famille, s’occuper de l’éducation des enfants, etc.
Mais de plus en plus, les langues se délient et la question sur la contribution aux charges par les couples commence à transcender les tabous. Ce changement est noté surtout avec l’autonomie financière dont bénéficient les femmes aujourd’hui grâce à des emplois qu’elles occupent ou à des activités commerciales dont elles ont le secret. La question de l’égalité entre les sexes est également passée par là.
On découvre donc depuis quelque temps l’expression fifty/fifty ou 50-50 qui est plus utilisée chez les hommes et femmes pour évoquer le partage des charges dans les ménages, qu’elles soient pécuniaires ou domestiques.
La tendance tente aujourd’hui de s’introduire dans les foyers en Afrique. Même si elle a encore de beaux jours devant elle au sein de la majorité, dans de nombreux couples, on essaie tant bien que mal de faire avec les réalités du moment. Bref, l’on essaie de suivre cette tendance, avec une teinte d’incompréhension qui subsiste toujours.
« Je voyais mon padré s’occuper seul des charges du ménage. Notre scolarité, nos besoins, le loyer et autres, il les payait. Mais lui-même trouvait cela normal, surtout qu’il avait demandé à notre maman de rester à la maison pour s’occuper de nous », nous confie Nephtali Messan, journaliste à Financial Afrik, un magazine sur l’économie et les finances basé à Dakar au Sénégal.
Pour lui, cela ne peut être reproduit aujourd’hui, vu le coût de la vie dans les pays africains, notamment dans certaines capitales comme Dakar.
« Il faut forcément le fifty/fifty ou à défaut faire participer sa femme aux charges financières du foyer. Sinon l’homme seul ne peut s’en sortir et cela va impacter la vie du couple ».
M. Messan dit s’occuper du loyer, de l’électricité et la scolarité de ses deux enfants. Alors que sa femme s’occupe « de tout ce qui est du ravitaillement pour le frigo, l’eau. Pour les autres, on gère ensemble ».
Mais certains spécialistes de la question genre pensent que la femme a été de tout temps, la contributrice principale dans le ménage.
La femme africaine, « l’être à tout faire » dans le foyer ?
La femme a toujours participé aux charges du ménage d’une façon ou d’une autre, selon Mme Coumba Bâ, spécialiste en questions genre. Elle ajoute que la difficulté est que les femmes se retrouvent parfois seules à assumer les charges dans le couple sans l’apport du conjoint.
« Quand il s’agit des charges domestiques, nous voyons que c’est sur les épaules des femmes. Surtout une fois qu’elles ont des enfants ou prises au piège, elles n’ont plus la latitude de pouvoir vaquer à leurs désirs profonds et s’épanouir dans la société en tant qu’être humain. Nous essayons d’évoluer de 100 % sur les épaules des femmes à 50-50 », déclare Mme Bâ.
Parfois, la crise survient dans le foyer lorsque c’est la femme qui gagne un peu plus que l’homme. Coumba Bâ confie avoir été victime de ce fait. « Aujourd’hui, les causes des conflits dans nos ménages, c’est l’argent ».
« Quand on voit dans toutes les statistiques du monde, il est avéré et documenté qu’entre 60 et 69 % des tâches ménagères en termes de temps vont à la femme. Et plus on a des enfants, plus on consacre beaucoup de temps au foyer. Si nous devons contribuer financièrement, il faudrait qu’on nous aide aussi au niveau des charges », plaide-t-elle.
La spécialiste en questions genre pense que c’est déjà un sacrifice le fait de se consacrer à l’éducation et à l’équilibre moral des enfants et de tout le foyer.
La mauvaise compréhension de ce rôle des femmes et l’absence d’un véritable dialogue entre les couples amènent des conflits qui conduisent parfois au divorce, ce qui impacte la vie des enfants.
Aujourd’hui, beaucoup pensent le 50/50 doit s’appliquer dans les ménages. Les charges du foyer incombent au couple, selon eux.
Une tendance qui commence à s’incruster dans les mentalités en Afrique
A Conakry, la capitale guinéenne, le correspondant de BBC Afrique Boubacar Diallo a tendu le micro à quelques personnes pour avoir leurs avis sur le sujet. « Tout ce que l’homme peut faire, la femme peut le faire également. Ça doit être 50-50 entre les deux. Si l’homme s’occupe de la maison, la femme doit s’occuper des dépenses de l’enfant », indique une femme au foyer.
« De nos jours, la femme mène une lutte pour l’égalité entre l’homme et la femme. Donc chacun doit contribuer pour l’évolution au sein de la famille, et partant de là le développement de nos sociétés et même de notre pays », souligne un père de famille également interrogé sur le sujet.
Et une étudiante de renchérir : « Une femme doit être battante, elle ne doit pas rester à ne rien faire. La femme doit avoir ses propres moyens, être indépendante, subvenir à ses besoins sans forcément dépendre de son mari ».
« Ça ne marche pas toujours comme ça… »
La gestion des finances d’un foyer relève de discussions et de décisions propres aux réalités du foyer. C’est ce qu’affirme Barthélémy Ayité, Conseiller juridique et cadre dans une institution financière à Lomé au Togo.
Selon lui, Quand les deux époux ont chacun des activités génératrices de revenus, « ils doivent tous contribuer. Le quota dépend des époux ».
« De manière plus pratique et personnellement, ce qui concerne la bouffe, ma femme s’en occupe. Mais je fais le ravitaillement des éléments fondamentaux, c’est-à-dire riz, spaghetti, huile et autres à la fin du mois. Et tout le reste, je m’en occupe du loyer, santé, scolarité des enfants, argent de déjeuner à l’école, factures, etc. ».
Il faut toujours noter qu’en Afrique, la plus grande charge revient à l’homme, selon Coco Kuassi, expert-comptable dans une microfinance dans la capitale togolaise.
Pour lui également, la répartition des charges doit être une négociation entre les époux, « sans pour autant occulter le fait que c’est l’homme qui est la tête du foyer ».
« Je ne suis pas d’accord sur le système rigide fifty-fifty. En Afrique, l’homme est toujours censé contribuer plus que la femme », ajoute M. Ayité.
Que dit la loi sur la contribution des charges dans le ménage ?
Le Code des personnes et de la famille, dans plusieurs pays en Afrique, traite de cette question du partage des charges dans le ménage. Au Sénégal par exemple, l’article 375 du code de la famille confère au mari la charge du ménage à titre principal, après que l’article 152 le reconnaît comme chef de la famille.
« Si on dit à titre principal, cela veut dire que la femme doit contribuer également », explique Nabou Diouf, juriste et membre de l’Association des juristes du Sénégal (AJS).
Mais dans le pays, poursuit la juriste, les hommes donnent l’impression de fuir cette responsabilité et laissent les femmes, non seulement s’occuper seules des tâches dans le ménage, mais aussi assumer la plupart des besoins financiers. Une situation qui engendre des crises.
« Nous recevons beaucoup de cas. Les femmes viennent nous voir pour que nous puissions les accompagner à avoir gain de cause. Nous passons d’abord par la médiation pour expliquer au mari que son rôle est de s’occuper à titre principal aux charges du ménage et qu’il ne doit pas faillir à cela », indique Mme Diouf.
Le code togolais des personnes et de la famille a, depuis 2014, supprimé la mention « principalement réservé à l’homme » en ce qui concerne les charges dans le ménage, selon Roger Kpakou, juriste au ministère togolais des Droits de l’homme. La loi « prévoit seulement que les charges du ménage sont à la charge des deux époux et qu’ils y participent dans la proportion de leur capacité financière ou matérielle respective ».
Il précise que « la contribution n’est pas à part égale mais proportionnelle. Celui qui a plus de revenus contribue donc plus. Plus question de responsabilité principale des charges du ménage pesant sur l’homme ».
Concernant les tâches dans le ménage, selon lui, c’est l’article 100 de la loi qui traite de la question. « Comme en ce qui concerne la contribution aux charges financières du ménage, le Code togolais n’impose pas une répartition précise des tâches domestiques. Mais il exige un apport proportionnel des deux époux, pas de l’un seulement. Le tout doit se discuter dans le respect et la solidarité ».
Quant à Nabou Diouf, son organisation, l’AJS accompagne les femmes dont les foyers se retrouvent en crise à cause des incompréhensions qui surviennent le plus souvent. Elle les aide à saisir le juge si elles le veulent, « à rédiger une requête aux fins de contribution des charges du ménage ».
Mais Coumba Bâ souligne qu’il faut d’abord des actions vis-à-vis des acteurs de la société, afin de leur inculquer la nécessité pour les couples de s’impliquer dans le partage des charges dans le ménage.
Pour ce faire, selon elle, il faut l’implication des leaders religieux, des leaders traditionnels et des chefs de famille eux-mêmes. « Tout homme qui a un leadership au sein de sa communauté doit pouvoir être un peu plus sensible à ce problème des inégalités genres ».
« Dans une société totalement investie par le droit, c’est très utile de se référer au texte quel que soit le pays où l’on se trouve pour savoir ses devoirs et ses droits », recommande Roger Kpakou.
Même si c’est la femme qui gagne plus que l’homme, il faut toujours un équilibre pour éviter que ce dernier ne devienne un gigolo, selon Barthélémy Ayité.
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Source:news.abidjan.net