Comment les Fake News hantent la présidentielle de 2025 en Côte d’Ivoire

La Commission électorale indépendante ivoirienne (CEI) monte au créneau pour contre-carrer l’influence toxique des fake news qui entourent le processus électoral en cours.

Alors que les Ivoiriens sont appelés à voter en octobre prochain pour choisir leur futur président, la proclamation récente de la liste électorale provisoire a donné lieu à une vague de publications virales sur les réseaux sociaux qui accusent l’organe chargé d’organiser la présidentielle de  »manipulation » de la liste électorale.

Au lendemain de la publication de la liste électorale provisoire le 17 mars dernier, de nombreux internautes ivoiriens s’en sont pris à la CEI. Certains ont accusé l’instance de « manipulation » de la liste électorale, affirmant avoir retrouvé leurs noms sur cette liste électorale, alors qu’ils ne s’étaient « jamais inscrits ou voté en Côte d’Ivoire » auparavant.

« J’ai récemment découvert avec stupéfaction que mon nom figure sur la liste électorale ivoirienne alors que je ne me suis jamais inscrit et que personne de mon entourage ne l’a fait pour moi » dénonce un internaute sur les réseaux sociaux, tandis que d’autres affirment « n’avoir jamais voté en Côte d’Ivoire » et pourtant ont vu leurs noms apparaître sur la liste électorale.

Ces publications devenues virales sur les réseaux sociaux ont alimenté la polémique au sujet de la fiabilité du fichier électoral et apporté de l’eau au moulin de tous ceux qui estimaient que la liste électorale est bourrée d’irrégularités.

Obligée de réagir, la CEI a créé une page spéciale Fact Checking sur Facebook où elle a apporté les démentis aux nombreux internautes qui l’accusent de manipulation. A l’aide de captures d’écrans, elle a répondu sur chaque cas, fournissant au passage les lieux d’inscription, la pièce d’identité ayant servi à l’enrôlement de l’électeur et la photo biométrique prise le jour de son inscription sur la liste électorale.

Une réponse appropriée qui a permis de désamorcer une polémique grandissante qui commençait à prendre des proportions énormes et surtout de nature à jeter le discrédit sur le scrutin et la CEI elle-même.

Le contexte électoral : l’oxygène pour les fakes news

Le contexte électoral semble donner du grain à moudre aux personnes qui diffusent les fake news admet Mohamed Kébé, journaliste fack-checker ivoirien.

« Effectivement, on sent une montée fulgurante des fausses informations à l’approche de la présidentielle ivoirienne » dit-il avant d’ajouter qu »’il y a des personnes qui sont intéressées par la manipulation de l’information en lien avec la présidentielle » citant deux récents cas de diffusion de fausses informations dont les professionnels des médias ont dû faire face.

« Il y a une fausse information sur l’arrivée de 700 militaires français en Côte d’Ivoire pour soi-disant sécuriser les élections et une autre information relative à la présence de légionnaires français sur le territoire ivoirien venus former des soldats ivoiriens afin d’attaquer le Burkina Faso » rappelle-t-il.

Pour Kébé, au-delà du contexte électoral qui alimente les fake news, il y a aussi les mauvaises relations entre la Côte d’Ivoire et deux de ses voisins, le Burkina Faso et le Mali, membres de l’Alliance des Etats du Sahel. « Beaucoup de fausses informations que nous avons identifiées, sont liées à tout ce qui touche à ces Etats de l’AES » fait-il remarquer.

La circulation des fausses informations liées aux élections ne constitue pas une surprise pour de nombreux observateurs.

Rédacteur en Chef de The Conversation, Assane Diagne a été le premier rédacteur en chef de Africa Check, principale organisation de fact checking en Afrique francophone.

« En période électorale, les enjeux sont énormes » dit-il. Il ajoute, « on a pu noter au cours des dernières années, chaque fois qu’il y a une élection, qu’elle soit présidentielle ou législative, les politiciens de tous les bords aiment faire de la propagande, diffuser des fakes news, travestir ou exagérer des faits, pour essayer de discréditer un camp ou une institution ».

Ce qui se passe en Côte d’Ivoire, n’est pas une surprise pour lui. « Nous l’avons vu au Sénégal en 2012, 2019 et 2024 et dans de nombreux pays d’Afrique francophones » tient-il à souligner.

L’Intelligence artificielle, une arme à double tranchant !

L’intelligence artificielle a ouvert une nouvelle ère dans la fabrication de fausses informations. Aujourd’hui des vidéos, des voix ou des images peuvent être générées artificiellement ou manipulées de manière si réaliste qu’elles deviennent presque impossibles à détecter surtout pour les citoyens non avertis. La prolifération de ce genre de contenus sur les réseaux sociaux rend plus complexe la lutte contre les fausses informations. « Cela représente une menace directe pour la confiance dans l’information notamment en période de crise ou d’élections » explique Oumar Watt, expert en transformation numérique et auteur d’un ouvrage intitulé la  »Désinformation à l’ère du Numérique : Dossier de Presse » et Président du Conseil d’administration de Sénégal Numérique. « Les deepfakes par exemple, permettent de faire dire ou faire des choses à une personne sans qu’elle ne les ait jamais dites ou faites ».

Par contre, l’IA permet, grâce à ses nouveaux outils, une vérification rapide de l’information.

 

 

Une préoccupation réelle, des solutions difficiles à trouver

Face à ce genre de phénomènes toxiques, il est parfois très difficile d’y faire face concède l’ancien rédacteur en chef d’Africa Check. La non-préparation des instances chargées de l’organisation de l’élection face à ce genre de situation, les réactions parfois tardives ou le silence des autorités sont autant de facteurs qui facilitent la circulation à grande vitesses des fausses informations en période électorale.

Ce qu’il y a lieu de faire pense Oumar Watt, c’est de « mettre en place un cadre réglementaire équilibré ». Il faut « des lois qui sanctionnent la diffusion des fausses informations surtout en période électorale, mais sans jamais empiéter sur la liberté d’expression » recommande-t-il.

En Côte d’Ivoire, l’autorité est bien consciente des enjeux. Amadou Coulibaly, ministre de la communication affirme que «le dispositif législatif et règlementaire a été révisé notamment pour doubler le quantum de peines et rappeler que tout ce qui n’est pas permis dans le réel, ne l’est pas dans le virtuel. » «Nous avons démultiplié les sites de fact-checking mais la particularité de la Côte d’Ivoire est d’avoir mis l’accent sur la sensibilisation et l’éducation à une utilisation responsable des réseaux sociaux» dit-il.

Par ailleurs, selon le ministre ivoirien de la Communication, un dispositif opérationnel qui permet de réagir très vite, lorsqu’une infox est lancée avec notamment l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information qui a créé une plateforme Alerte Sans qui réagit très vite lorsqu’une infox est annoncée existe. «La plateforme de lutte contre la cybercriminalité offre aux victimes d’infox, de cyber harcèlement une alternative et de pouvoir porter plainte. » a-t-il précisé.

Les maisons de presse, les Etats et les plateformes numériques ont chacun un rôle à jouer abonde Assane Diagne.

« Les organes de presse doivent avoir des services de fact-checking et doivent plus que jamais vérifier, recouper toutes les informations avant de les rendre public » déclare l’ancien rédacteur en chef d’Africa Check.

En Côte d’Ivoire, le Réseau des Professionnels de la Presse en ligne est en ordre de bataille pour limiter l’impact des fausses informations. « Une cellule de veille a été mise en place pour traquer les fausses informations sur les plateformes numériques » souligne Kébé qui ajoute qu’une plateforme dénommée  »Ivoir-Check » destinée uniquement à lutter contre les fake news a été mise en place et elle a permis de contrer de nombreuses fausses informations.

Quant aux Etats, « ils doivent prendre toutes les mesures pour réguler sans censurer les réseaux sociaux en utilisant des outils qui limiteraient la diffusion et la circulation des fake news. Il faut rendre moins visible toute fausse information qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour le public » d’après Diagne.

Oumar Watt pour sa part préconise également une régulation des plateformes numériques qui inclurait « des obligations de transparence sur leurs algorithmes, des mesures pour limiter la diffusion des contenus trompeurs et des sanctions en cas de manquements ».

L’éducation est également invoquée par nos deux interlocuteurs. « Il faut renforcer l’éducation aux médias des plus jeunes, pour permettre aux citoyens de mieux décrypter ce qu’ils lisent ou voient en ligne mais aussi des moyens de reconnaître les stratégies de manipulation » suggère Watt.

« Mener un travail d’éducation aux médias en sensibilisant dans les écoles, les mosquées, églises, les marchés sur comment utiliser les médias, où trouver les bonnes informations, quelles attitudes adopter face à une information dont on a aucune preuve de sa véracité » poursuit Diagne.

En dehors de ces actions, les Etats sont priés aussi de faire pression pour que les plateformes numériques acceptent de jouer le jeu en permettant que les informations de factchecking soient mieux visibles sur leurs plateformes.

Une initiative mondiale contre la désinformation avec le soutien indispensable des géants du numérique serait un pas en avant contre les fakes news.

 

 

Source:news.abidjan.net

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