En France, une commission d’enquête indépendante lance, lundi 23 juin, un appel à témoignages pour identifier d’autres victimes de violences commises au sein de Notre-Dame de Bétharram. Le scandale de violences physiques et sexuelles dans cet établissement a poussé d’anciens élèves d’autres institutions catholiques à sortir du silence. Cette commission se donne un an pour recueillir la parole de témoins des abus des prêtres de la congrégation de Bétharram. Entretien avec Jean-Pierre Massias, président de la commission et président de l’Institut Joinet, spécialisé dans la justice transitionnelle.
Jean-Pierre Massias : Aujourd’hui, environ 200 plaintes ont été déposées, mais nous estimons qu’il y a des victimes qui ne se sont pas déclarées. Les témoignages existants sont toujours la partie émergée d’un iceberg beaucoup plus large. En mettant en place ce mécanisme d’auditions totalement libres et confidentielles, on espère obtenir plus de témoignages que ceux déjà engagés. Nous allons aussi auditionner des témoins. Nous avons pris l’initiative de demander à des gens de venir nous parler pour nous expliquer pourquoi ils n’ont rien vu, comment les choses se passaient à Bétharram, etc.
Comment fonctionnent justement ces auditions ?
Nous avons mis en place un mécanisme de sécurisation et un espace de bienveillance vis-à-vis des victimes. Pour nous, toute victime qui témoigne dit la vérité. Nous avons mis en place un protocole d’audition en partenariat avec des psychologues, notamment Muriel Salmona, qui est une très grande spécialiste du psychotrauma et qui était membre de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Nous allons demander un certain nombre de renseignements sur notre site aux gens qui voudraient témoigner, de manière à ce qu’on ne les fasse pas répéter et qu’ils ne revivent pas le trauma. L’audition est totalement sécurisée. La personne peut donner son nom si elle le veut mais peut aussi refuser. Nous essayons de faire en sorte que l’audition devant la commission soit une première étape dans la réparation ou dans la prise en charge de la victime.
Vous concentrez-vous uniquement sur les anciens élèves de l’établissement catholique Notre Dame de Bétharram ?
Non. Le critère, c’est à la fois ce qu’il s’est passé à Lestelle-Bétharram, le noyau central de cette violence mais nous voulons également pouvoir suivre les actes de violence commis par des prêtres ou des laïcs qui se sont ensuite déplacés. On sait qu’il y avait des prêtres bétharramites à Saint-Palais, au Pays basque, et à Ozanam, à Limoges. On sait également que certains prêtres bétharramites français ont exercé des missions en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire. De même, à l’Institut Joinet, nous travaillons également beaucoup en Centrafrique où il y a un centre Bétharramite, même s’il est plutôt en relation avec le vicariat italien. On va profiter de notre présence pour enquêter également là-bas.
À terme, quel objectif la commission s’est-elle fixée ?
Nous rendrons un rapport en mai 2026. Il a trois objets. Premièrement : faire la vérité sur les violences commises à Bétharram et comprendre la violence. Nous voulons décortiquer ce système : savoir combien de violences ont été commises, par qui, sur quel type d’enfants, de quelle manière, avec quelle forme de répétition, et puis, s’interroger également sur la question de l’impunité des auteurs des violences. Deuxièmement, il faut réfléchir à la réparation des victimes qui pose plusieurs difficultés. La palette des situations vécues est large. Il y a aussi beaucoup d’affaires prescrites. Mais la réparation peut être collective et symbolique. L’idée, c’est aussi de rendre justice aux victimes, de leur reconnaître ce statut et de prévoir des mécanismes pour leur rendre hommage avec, par exemple, l’érection d’un monument ou d’une plaque dans la cour de l’institution ou la mise en place de conférences régulières pour informer les élèves. Troisièmement, l’objectif est de réfléchir aux mécanismes de non-répétition pour empêcher que ce genre de violence puisse un jour se reproduire.
Qu’apporte la commission aux victimes par rapport à une réponse pénale ?
Il n’y a pas d’incompatibilité entre les deux. La commission que l’on a mise en place s’inspire du modèle des commissions « Vérité et réconciliation » d’Afrique du Sud ou encore d’Argentine. Elles ont été mises en place parce que l’on ne pouvait pas rendre justice et que la voie pénale était impossible. C’est un peu le cas pour Bétharram. Entre la prescription et le décès des auteurs potentiels, il y a très peu d’affaires qui relèveront du droit pénal. C’est aussi une justice complémentaire, une forme de justice supplétive pour permettre d’obtenir des résultats lorsque la voie pénale est fermée. La commission peut apporter quelque chose aux victimes sur le plan de la dénonciation de ces violences et être une forme de réparation. Les commissaires nommés sont des personnalités indépendantes avec une grande expérience. Certains ont siégé à la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, à la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants et à la commission sur les enfants réunionnais de la Creuse. Ils ont une grande amplitude de compétences. Il y a des psychologues, des juristes, une avocate, un magistrat, des sociologues, des historiens, et ce, afin d’avoir le champ d’investigation le plus large possible.
Source: rfi.fr